Elle n’avait touché ni aux livres ni aux films laissés à sa disposition pour aider à stimuler son imaginaire. Elle avait fermé les yeux, s’était recueillie un moment et peu à peu des larmes douces et délicates s’étaient mises à couler lentement sur ses joues. Elles avaient grandies comme une vague qui monte, de plus en plus puissante jusqu’à ce qu’elle soit prise d’un hoquet si fort et qu’elle ne puisse s’arrêter. Elle avait longuement laissé sortir les émotions qu’elle avait si longtemps retenues.
Ici, elle pouvait pleurer autant qu’elle le
voulait. Elle était dans un endroit créé uniquement pour cela et où personne
n’allait la juger. Cet endroit
était un « pleuroir ». À
l’intérieur, quelques fauteuils confortables, certains à l’écart dans des
petits isoloirs, d’autres placés côte à côte en petits groupes. Un endroit où
se retrouvaient des femmes de tous âges et de toutes races, qui n’avaient en
commun que l’envie de se libérer du fardeau qu’elles portaient et pleurer.
En regardant autour d’elle, Marie pouvait les
voir, chacune à son petit univers de larmes. Dans un isoloir, une adolescente
écrivait et ses larmes ruisselaient sur le cahier où elle racontait ses
histoires d’amours impossibles.
Plus loin, deux jeunes mamans épuisées, parlaient à voix basse en
libérant les larmes retenues à trois heures du matin parce qu’elles n’avaient
pas dormi depuis des heures, parce qu’elles étaient tout à la fois épuisées,
fières et remplies de la crainte d’être inadéquates. À côté d’elles, une
troisième s’était endormie paisiblement, avec encore quelques larmes sur les
joues. Au centre de la pièce,
assises autour de quelques tasses de thés, un groupe de grand-mères aux yeux
rougis se rappelaient du mariage
de l’une, de la mort de celui-là, des prières exaucées et des péchés non
confessés.
Et puis, soudain, ces images s’étaient
évanouies. Marie avait ouvert les
yeux, et s’était retrouvée dans son lit, avec Julien qui s’éveillait à ses
côtés. Elle portait encore cette
lourdeur entre son plexus solaire et
ses omoplates, coincée, collée à ses organes et à sa cage thoracique. Le
poids, qui ne s'éliminait que par les larmes, ne l’avait pas quitté.
Elle avait souri à son mari qui se levait
aussi. Pourquoi l’inquiéter ? Pourquoi l'entendre implorer désemparé, "Pleure pas, sèche tes larmes". Il n’aurait pas compris, qu’elle avait envie de pleurer un bon coup,
même si elle n’avait aucune raison, même si elle avait plusieurs, même si elle avait tout pour être heureuse. La
douche rapide, alors que les enfants entraient se laver les dents, ne permit
pas une larme, et elle savait que le trajet en train serait aussi trop court. Elle devrait se résoudre à sa ruse
habituelle ; il y aurait des oignons pour souper ce soir-là.
Et elle continuerait de rêver de trouver, un
jour un endroit où elle pourrait pleurer librement, pour les grands drames ou
pour des petites choses. Quand on
lui avait appris à être forte, on avait oublié de lui dire que pleurer ne
ferait qu’augmenter sa force, sans l'affaiblir. Pour
elle, comme bien d’autres, les larmes qu’elle versait était encore
malheureusement soit une forme de faiblesse, soit un danger de blesser ceux
qu’elle aimait, et comme elle ne voulait ni l’un ni l’autre elle continuerait
de se cacher comme une criminelle, pour les laisser couler.
Encore un beau récit. Oui, les larmes sont souvent synonyme de faiblesse pour celui qui le verse.
RépondreSupprimerEt oui Michèle, bien des gens on de la mise à comprendre qu'on peut être forte ET verser des larmes...
RépondreSupprimerEst-ce que je peux l'utiliser pour mes clients?
RépondreSupprimerElaine, que veux-tu utiliser avec tes clients? Le texte? Bien sûr.
RépondreSupprimerSi c'est le lieu, il faudra attendre que quelqu'un en ouvre un. À moins que tu aies envie d'en ouvrir, un. Je serais ta première cliente ;)
Ce texte me touche énormément. C'est fou à quel point pleurer peut faire du bien. Parfois, j'écoute des films très tristes juste pour ça, pour libérer les larmes et me sentir enfin légère et apaisée.
RépondreSupprimer@La citadine, je suis bien contente que tu aies fait le tour de mes textes et aies choisi de t'arrêter sur celui-ci. Je l'aime bien, c'est comme mon secret. Pleurer, ça fait tellement du bien, et on dirait qu'on ne prend pas assez le temps de le faire. J'ai écrit ce texte pour essayer de m'en rappeler. Merci pour ton commentaire.
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