À 22 heures à peine, la soirée tirait déjà à sa fin. Les longues et chaudes nuits d’été avaient laissé la place à ces lundis frisquets où seuls les solitaires arpentait la rue St-Laurent. Les clients terminaient des dîners d’affaires ennuyeux où rien ne s’était conclu et les mendiants tendaient leur verre en carton contenant à peine quelques piécettes. Elle regrettait d’avoir tout donné au premier et baissait les yeux chaque fois qu’elle disait non à un autre qui demandait « Juste un ti-peu de change. ». Elle était toujours étonnée de voir combien on pouvait être abandonné à soi-même dans un pays si riche.
Yasmina retournait à ses pensées, tentant de n’en garder que
l’essentiel, essayant de ne se concentrer que sur ses sentiments de cette
soirée. Juste ces émotions-là. Pas les autres qui viendront plus tard avec
les conséquences. Non, prendre celles-là,
juste celles-là, comme les pierres d’un
bijou que l'on admire sans la robe et le maquillage. Sentir en elle ce mélange particulier de
chaleur et de peur, de mélancolie et de consolation
L’odeur du thé à la menthe.
L’accueil de Aïcha. Cette
impression d’être entourée, aimée, de
faire partie d’une famille. Elle avait
dit que peut-être elle irait à la mosquée vendredi. Aïcha avait souri, lui avait pris les mains
dans les siennes, et avait dit.
« Nous serions tellement heureux de te compter parmi nous. »
Il ne fallait surtout pas penser à sa mère qui en mourrait
encore, s’il elle n’était pas déjà partie depuis longtemps. Ne pas penser surtout aux regards des
collègues du bureau, quand elle couvrirait ses longs cheveux ébène d’un voile
en soie. Juste se rappeler cette impression d’exister,
de ne pas être transparente, d’appartenir à un clan. Cette chaude hospitalité qu’avait offerte
Aïcha si généreusement.
Yasmina marchait dans les rues de Montréal. Les feuilles d’automne commençaient à jaunir.
La ville était douce, entourant ses émotions comme un écrin. Cette sensation complexe, si pleine de tristesse
et de mélancolie. La peur aussi. La peur
de cet univers que ses parents avaient fui, mais qui pourtant portait les
odeurs et les sons de son enfance. Cet
univers qui ce soir lui semblait si accueillant. Cette impression de soif qu’on assouvit enfin.
Ce midi encore, elle avait mangé, seule à son bureau, un
repas qui sentait bon le cumin et le safran. Ses collègues étaient passées en
babillant, avaient posé quelques questions,
« Ça sent bon ce que tu manges Yasmina. Est-ce que c’est quelque chose de ton
pays ? » Son pays. Elle se demandait bien où c’était. Elle qui était née à Paris, avait grandit à
Montréal. Son pays, c’était les plats
de sa mère née en Algérie, c’était les longues soirées d’hiver à la
bibliothèque de Poly pour le diplôme d’ingénieur que son père avait encadré et
affiché fièrement sur le mur du salon du modeste appartement de Côte-des-Neiges. Son pays, c’était les vases contenant les
cendres de son père et ceux de sa mère, qu’elle n’avait jamais su où répandre
parce qu’ils n’avaient été nulle part chez eux et cette chanson de Vincent Vallières qui lui rappelait tellement ses parents partis avant de devenir 2 vieux qui s'aimaient encore.
Son pays, c’était son travail et ses collègues, qui allaient
diner tous les jours sans elle. C’était
sa faute, un peu. Au début, ils lui avaient offert de se joindre à eux, Yasmina avait refusé. Sa mère venait de mourir et elle avait
promis à son père qu’ils iraient au mariage de sa cousine à Oran. Le billet, les cadeaux qu’il fallait offrir,
la robe qu’elle devait porter pour être à la dernière mode et faire honneur à
son père coûtaient chers. Elle avait
refusé sans donner d’explications. Un jour, elle avait surpris une conversation
entre deux collègues l’une disant à l’autre « Je suis pas raciste,
mais dans ces pays-là…sont bizarres. Ils
aiment pas ça se mélanger.»
Yasmina marchait dans les rues de Montréal. Elle s’était toujours sentie en sécurité ici,
bien plus qu’à Algers et même qu’à Paris qu’elle visitait de temps à autre. Il
était tard, la lune montait doucement dans le ciel. Elle s’était mise à fredonner une chanson qui
lui rappelait sa mère « Plaisir d’amour, ne dure qu’un moment, chagrin
d’amour dure toute la vie. » Sa
mère chantait souvent cette chanson qui lui rappelait Paris où elle avait connu
son mari, exilé lui aussi.
C’était impossible de séparer les deux. Ses parents, l’Algérie, l’occident. Elle, seule, au milieu. La religion que ses parents avaient fuie
devenait soudain, une porte vers eux, dans le pays qu’ils avaient choisi pour
elle.
Demain, peut-être que demain, elle oserait dire aux collègues
du bureau qu’elle avait envie de sortir manger avec eux. Mais peut-être qu’il était déjà trop tard,
peut-être était-elle pour eux une étrangère et allait le rester. C’était si simple après tout d’aller à la
mosquée, là où elle serait accueillie comme une amie, là où on lui servirait du
thé à la menthe et des pâtisseries comme ceux que sa mère aimait, là où on lui
parlerait la langue des berceuses de son père.
Pourquoi fallait-il qu’elle choisisse, pourquoi devait-elle
être l’un ou l’autre et ne pouvait pas , comme l’avait rêvé ses parents, être
un peu des deux et elle-même à la fois.
C'est si triste. Très émotifs surtout vers la fin mes yeux sont remplis d'eau. Je souhaite tellement que Yasmine trouve sa place et surtout prend sa place si je peux dire. Un pas en avant ne peux pas faire de mal quand les intentions sont bonnes. Je souhaite que les préjugés cessent mais c'est qu'un rêve de le croire.
RépondreSupprimerPardon *Yasmina
SupprimerYasmine c'est ma fille ;)
Merci Nadia pour ton commentaire. Ça me fait plaisir de lire que mon texte t'a touchée. Des fois je trouve que la réflexion que l'on a sur les nouveaux arrivants est à la mauvaise place.
Supprimerma chère Sophie, j'ai enfin le temps de te lire et tu m'émeut toujours autant...
RépondreSupprimerJ'écris moins souvent qu'avant et je viens donc moins souvent. C'est un beau hasard que de voir ce message, un hasard qui fait chaud au coeur.
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