Elle tenait son sac à deux mains et j’avais remarqué le petit anneau en or fin sur l’annulaire de la main gauche. Trop délicat pour être une alliance, il avait attiré mon regard. Pendant longtemps, après son divorce, Simone avait continué à porter son jonc. Elle trouvait qu’une femme de son âge avec une main nue, ça ne faisait pas sérieux, qu’elle aurait l’air d’une vieille fille, et qu’après 25 ans à s’occuper d’un homme, elle méritait un autre statut que celui-là. Mais ça irritait Yvon, son ex. Il y a quelque mois, elle avait déposé la belle alliance dans sa boîte à bijoux et l’avait troquée pour ce petit anneau qu'elle avait trouvé dans les affaires des filles, après leur départ pour leurs vies à elles.
C’était une des seules personnes dans cette partie du wagon qui ne pitonnait ni sur un téléphone, ni un ordinateur, elle ne lisait pas, ni ne regardait par la fenêtre comme les autres passagers. Simone regardait au-dedans d’elle-même, à se demander où elle s’était trompée, à essayer de comprendre quelle croisée de la vie elle avait manquée pour se retrouver ainsi à 56 ans, coincée entre son travail qu’elle n’aimait pas et la petite maison de banlieue, offerte par Yvon pour faire pardonner son départ. Une maison coquette qu'elle avait habillée pour les autres et qu’elle n’avait jamais aimé et où elle habitait maintenant seule.
Et soudain, le soleil qui se cachait depuis quelques jours était sorti d’un nuage, juste au moment où nous passions sur le pont Victoria et était entré dans le train doucement. Un rayon de soleil était venu se poser sur son épaule pour la réchauffer. Sur ses lèvres épuisées, était apparu un sourire. Elle venait de se rappeler que Solange venait souper ce soir. Solange sa meilleure amie, Solange qui prenait tout en charge comme un tourbillon humain qui dirait « Laisse faire, je m’en occupe, t’es fatiguée, tu travailles trop, laisse-toi gâter ».
Simone avait fermé les yeux, rassurée; elle n’était pas seule, elle avait Solange.
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