Un soir d'été à St-Quelquechose

Ce texte est la suite de La fuite

C’est ici que le voyage d'Élise se terminait et que son aventure commençait.  Elle venait d’arriver dans ce petit village perdu à quelques heures en train de la vie qu’elle fuyait.  Près de la gare, se trouvait la rue principale avec une église, une banque et une épicerie.  On lui avait dit que la clé serait à l’épicerie.


Rita Marchand était une grosse femme avec un immense sourire.  Elle l’avait accueillie en ouvrant les bras  comme pour la serrer.  Élise avait fait un pas vers elle, imperceptible, s’imaginant un instant déposer sa tête sur l’immense poitrine et se laisser engouffrer dans les bras chaleureux, puis, elle avait reculé poliment.
-Bonsoir,  je suis Élis... Elisabeth Des.. Desrosiers, je viens chercher les clés de la maison.
- Ben oui, j’vous attendais.  Le train avait un peu de retard, non? Venez en arrière, dans la maison. 
Au fond du magasin, une porte menait à la maison des Marchand. La cuisine où elle avait déposé sa valise de carton était toute en bleu et blanc. Sur la table,  traînaient un rouleau à pâte, de la farine, un bol tâché de rouge et une boîte en métal.  Sur la boîte blanche, on pouvait lire  «flour » malgré le f et le o qui étaient presque effacés.  L'odeur l’avait assaillie, l’étourdissant presque.
- Assoyez-vous une minute.  Gérard!!!, La madame de la ville est arrivée pour chercher les clés. Gérard, qu’esse-tu fais?
La grosse femme avait ouvert la porte vers la cour: « Gérard!!! m'entends-tu? », se tournant vers son invitée : «Scusez, yé dans le garage en train de réparer le camion. Vous savez comment c'est, les hommes.  Y s’en vient. ». Elise avait murmuré: « Ça sent bon.»
- C’est des tartes avec les premières fraises de l’été. Vous en amènerez une. Elles vont être prêtes bientôt.  Vous aurez rien qu'à la mettre au four quek' minutes pour la réchauffer.
- Merci. C’est pas nécessaire. 
- Ben non,  c’est rien.  De toute façon, je vais en faire d’autres.  L'été fait juste commencer. Prendriez vous un thé glacé?  Vous devez être fatiguée.  C’t’un long voyage.  
La clochette du magasin avait sonné.  Elle avait crié  «J’arrive!» pendant qu’elle remplissait un verre de thé glacé sans attendre la réponse de la jeune femme.
- Y fait-tu assez chaud!  Stu assez niaiseux de ma part de faire marcher l'four par un temps pareil! Prenez ça, ça va vous faire du bien.  Je reviens.  Ça sera pas long. Ça doit être des jeunes qui viennent acheter de la bière avant qu'on ferme.
Élise était restée assise, tournant le verre humide entre ses doigts.  Elle reconnaissait ce dessin délavé, des symboles d'un jeu de cartes, c'était un ancien pot de moutarde.  Sur le mur près d'elle, un calendrier avec des images de chat, retenu par une punaise plantée dans le papier peint fleuri, au-dessus de la porte de la cour, un crucifix, mais il n'y avait pas de miroir en vue.  Elle s'était laissée glisser dans l'odeur de fraises et les sons qui l'entouraient, les criquets dehors, la radio un poste qu'elle n'écoutait pas en ville, Michel Fugain chantait « Chante comme si tu devais mourir demain… », plus loin dans l'épicerie, des bribes de conversation, des mots :  « semences », « été », « fraises », « madame de la ville », « maison jaune », et  même un bout de phrase : « Elle a l’air gentille. »

Elle avait pris une longue gorgée et senti le liquide sucré et froid descendre doucement et remplir son thorax. Pour la première fois depuis des semaines,  la voix dans sa tête s’était tue.
- Scusez moi.  Quand je me mets à jouer dans un moteur.  J’perds la notion du temps.  V’là les clés de la maison.  Hon, est-ce que je vous ai faite peur?
Elle avait sursauté.  Devant elle, l'homme essuyait ses mains sur sa chemise, un sourire gêné sous sa moustache blanche.

 Vous allez voir, c’est ben cute.  Le gazon est long parzemp'. Si vous voulez j’peux passer demain le tondre.  Vous êtes ici pour longtemps? Vous connaissez le coin?   Avez-vous de la famille par icitte?
- Euh, oui, ben, non.  Non, j’ai pas de famille. 

La suite sur De l'eau pour les poules

** Un merci spécial à Nathalie qui m'a forcée à sortir de ma zone de confort et aller plus loin dans une histoire qui ne devait pas avoir de suite.  

1 commentaire:

  1. Quel bonheur que de lire ce texte ce matin, tranquille, sur ma terrasse avec un café... Je l'aime bien, cette Élise. Merci de continuer à lui faire vivre son histoire...

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