Assise en haut du train

Ce matin-là, elle s’était assise en haut.  Là où le vent et le mouvement du train secouaient plus les passagers. Là où la lumière était plus vive et les rêves plus grands.  Elle regardait par la fenêtre, comme d’habitude mais souriait plus fort. 

D’habitude, elle mettait son chapeau, son manteau demi-saison en lainage crème, elle prenait son sac à main bleu et se rendait sagement au train.  Elle entrait  et choisissait un siège en bas, au premier étage là où s’assoient les gens raisonnables.

Elle était traductrice, et, depuis 20 ans, elle répétait dans une autre langue, les mots des autres.  Depuis plusieurs années, ses collègues travaillaient de la maison et aux heures qui leur plaisaient, avec internet on pouvait traduire où et quand on voulait. 

Elle continuait d’aller au bureau la plupart du temps.  Elle ne pouvait s’imaginer traduire la pensée d’un autre assise en pyjama dans son salon.  Il fallait du respect pour les idées des autres, il fallait leur donner l’environnement sobre d’un bureau.  Elle aimait le cliqueti clic des collègues, qui écrivaient, elle aimait le bruit des mots que l’on écrit.

Parfois elle s’arrêtait un moment pour réfléchir, pour trouver le mot exact, la formule parfaite pour transmettre la pensée de cette autre personne.

Ce matin-là, elle n’avait pas apporté de lunch et irait manger au restaurant.  « Je le mérite bien » pensait-elle « toute une vie à traduire les mots des autres. »  Elle irait voir Gérard son patron et lui annoncerait que c’était fini, qu’après le livre qu’elle terminait, elle réalisait un rêve et devenait fleuriste.

Assise au deuxième étage du train elle souriait en pensant à ses fleurs.

4 commentaires:

  1. Pas à dire, vous êtes, de la plume, une peintre impressionniste. J'aime.

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  2. @Pitro: On me lit outre-Atlantique!! Je suis émue! Merci de me suivre et de commenter, ça m'encourage dans mes moments de doute!

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