Les rêves des uns et des autres


Aujourd'hui, lendemain d'élections, contrairement à mes habitudes, j’ai emprunté l'autobus, pour me rendre à une formation. Ce changement bienvenu m’a permis de voir un autre Montréal:  à l’extérieur du véhicule, celui des quartiers aisés, à l’intérieur, une foule plus bigarrée, plus urbaine.


À mon retour à la maison en fin d'après-midi, l’autobus était bondé.  Le matin, tous avait des têtes de lendemain de veille; en cette fin de journée, chacun était retourné a son ordinaire. Iphone, Ipod, Blackberry, et même quelques livres ici et là amenaient les passagers ailleurs.

Une petite femme est montée à la fois forte et fragile. De ces gens qui s'effacent dans la foule malgré la lumière qu'ils dégagent . L’autobus était plein, elle est restée debout, malgré la fatigue que laissait deviner la courbe de ses épaules.

La journée de Maria avait commencé tôt. Madame aimait qu’elle soit arrivée avant que le petit Gustave ne se lève De cette façon, elle pouvait se charger de lui dès qu'il ouvrirait un oeil. Ce matin, la maisonnée semblait plus fébrile qu'à l'habitude. La télé était ouverte, Madame et Monsieur discutaient fort, et n'avaient pas remarqué que leur cris avaient réveillé le petit Gustave. Monsieur avait même renversé la mousse de son lait sur le comptoir alors, qu’il préparait son café dans l’appareil très compliqué que Maria ne pouvait pas toucher.

Maria n’avait pas bien compris de quoi ils parlaient. Elle se débrouillait de mieux en français, mais ce matin, il lui avait semblé qu’ils répétaient sans arrêt des mots qu’elle n’avait jamais entendus. « ènnedépé, Jacléton, arpeur ». Il y avait aussi des mots qu’elle connaissait mais qui semblaient utilisés dans un contexte différent. "Orange, balayage", Elle avait clairement compris « balayage ». C’était un mot que Madame disait à Maria souvent en faisant le geste de tenir un balai pour être bien certaine qu'elle comprenait, mais cette fois, elle le disait en levant les mains au ciel alors que Monsieur, lui secouait son index très fort quand il disait « balayage » et tous les autres mots. Mais ni l'un ni l'autre ne semblait d'adresser à elle en le disant.

À cause de tout cela, ils étaient partis en retard, en soufflant des bisoux en direction de Gustave qui regardait l'émission pour enfants qui avait remplacé les nouvelles. Maria avait profité du fait que le mot balayage n’avait pas été prononcé dans sa direction et, dès qu'ils étaient partis, avait sorti de son sac le café instantané et la carte d’appel achetés dans un dépanneur philippin de son quartier.

Elle avait préparé son café et avait appelé Manille. Sa mère avait répondu et elle entendit aussitôt les bruits de la rue, des klaxons, un coq qui chantait, des chiens qui jappaient qui l’avaient ramenée dans la petite bicoque de Manille.

Oui, Amida allait bien. Elle grandissait rapidement. Elle allait à l’école tous les jours, sauf quand sa grand-mère avait besoin d’elle à la maison. Non, elle ne pouvait venir au téléphone, elle était déjà au lit puisqu’elle se levait à 5 heures le matin pour se rendre à l’école. Oui la saison chaude battait son plein, on se sentait comme dans un four et tous avaient hâte que la saison termine. Oui, elle avait reçu l’argent que Maria avait envoyé à la fin de mois.

Puis, le petit Gustave l’avait appelée et Maria avait raccroché et Manille était disparue,

Dans le calendrier de son petit appartement de Côte-des-Neiges, elle comptait les jours. Mille deux cent cinquante-quatre jours, bientôt trois ans et demi qu’elle vivait ici. Amida avait déjà cinq ans. Dans la photo qu’elle avait reçue il y a quelques mois, la fillette en robe rose ne ressemblait plus du tout au bébé qu’elle avait quitté.

Elle envoyait chaque mois un peu d’argent.

Et, les mardis et les jeudis, Maria prenait le bus et allait prier la Vierge dont elle portait le nom  en espérant qu’elle ait le pouvoir de réaliser les souhaits que l’on ose à peine formuler, même les siens.

5 commentaires:

  1. C'est une très belle et triste histoire...J'ai appréciée beaucoup la lire. Merci ! Je découvre ton blog par hasard et j'aime beaucoup , bonne soirée :-)

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  2. Malheureusement Magda, c'est la réalité de bien des immigrants au Canada, et dans le monde. Choisir de ne pas voir grandir leur propres enfans dans l'espoir de leur offrir un meilleur monde. Merci de me lire. J'espère que tu reviendras.

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  3. Tu as raison...comme tu peux le constater je connais très bien la réalité des immigrants au Canada. Je suis chanceuse car je suis arrivée au Québec à l,âge de 16 ans avec ma famille mais tous n,ont pas cette chance. Ma tante a laissée sa fille pendant 10 ans avant d'être capable de la revoir...C'est triste cette séparation et c'est dur de vivre ailleurs quand ton coeur est resté dans ton ancien pays. Je suis certaine que je reviendrai te lire :), bonne journée.

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  4. je suis triste pour toutes ses familles séparées...
    Chacune de tes histioires me touchent beaucoup Sophie.

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  5. @ Elaine: On oublie parfois combien nos propres vies sont simples comparées à celles d'autres personnes. Merci de me lire, c'est pour des personnes comme toi que j'écris.

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