Une question de trop (4) La fin... ou peut-être le début

Suite et fin (pour le moment) de Une question de trop (3)

Près de la porte, la valise était restée intacte après le voyage près du fleuve; les messages sur le répondeur, le linge des enfants à laver, les courses et toutes les autres sources de larmes attendraient à plus tard. Elle était sortie avec sa bicyclette et avait pris la route sans casque et sans objectif.


Elle avait roulé en ligne droite, vite, plus vite, sans aller nulle part avec le vent qui caressait son âme et sa peau.  Puis, petite à petit avait suivi les petits sentiers, ceux qui mènent sous les arbres et aux  endroits solitaires. Elle s’était arrêtée finalement, à bout de souffle, pour s’asseoir et regarder le fleuve couler, encore.

Devant elle, ce n’était plus le village et son église paisible dans la brume qu’elle avait vu ce matin-là. De l'oasis de verdure où elle était, on voyait Montréal, ses buildings, son trafic, sa vie.


Montréal, qui lui avait volé François, mais qui lui aussi avait donné Johanne.  Johanne, cette  amie apparue comme une bourrasque de vent dans sa vie, un soir de janvier.  Cette grande et blonde femme si forte d'avoir tant souffert. Johanne qui dessinait pour son travail; Johanne qui dessinait aussi parfois pour apaiser sa douleur intérieure.

Là au bord de l'eau, elle avait sortit le cahier que son amie lui avait offert. « Défoule-toi, dessine, gribouille, laisse aller tes émotions, laisse le papier t’écouter ». Elle s'était mise à dessiner ce qu’elle avait devant elle, n’osant laisser aller sa colère, son désespoir sur une page blanche de si belle qualité.  Un arbre, ses feuilles, avec en arrière-plan la ville, et le béton était apparus sur la première page du cahier.

Lentement, patiemment, à coups de crayons maladroits, elle avait dessiné chacune des feuilles en prenant soin d'y reproduire ces petites différences que la vie y avait dessinées.  Une feuille trouée mangée par un insecte, celle-là déchirée au centre par un grand coup de vent, une autre criblée de petits trous probablement résultat d’une attaque de pucerons.  Pendant 30 minutes, son visage concentré, ses yeux oscillants entre son cahier, et le paysage, elle ne s'était souciée que du contour d’une feuille, de la ligne de l’horizon, de ce  qu'elle voyait devant elle.

Il y aurait un après, elle le savait; au retour à la maison, elle sera seule. Le vide de la maison lui faisait peur, mais en remettant le cahier dans son sac avant de rentrer, elle commençait à goûter à quelque chose de nouveau.  Une impression encore faible et ténue qui prendrait probablement des mois à apprivoiser, mais qu'elle percevait clairement en ce moment.  Elle-même.

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