Une question de trop (3)

Suite de Une question de trop (2)

La vérité s’appelait Julie.  François ne savait pas ce qui lui avait pris.  Il ne savait pas s’il l’aimait. Il ne l’avait vu que quelques fois.  Mais une fois qu’il avait dit son nom, Isabelle avait cessé d’entendre le reste.  Figée, entortillée dans ce prénom qui se répétait comme un écho dans son cerveau. Julie, Julie, Julie.


Quand elle avait recommencé à entendre des phrases complètes, elle avait compris, que Julie donnait à François l’espace dont il avait besoin, qu’avec Julie, il se sentait utile, fort, que Julie… Et brusquement, c’est comme si quelque chose en elle s’était déchiré et elle avait caché sa douleur sous les mots.  Elle avait été vulgaire, avait employé des mots et phrases que jamais dans sa vie elle n’avait prononcés, des paroles remplies de venin dites avec l’intention et le besoin de blesser.

Ils s’étaient entraînés l’un l’autre dans une inévitable spirale de mots.  Et ils s’étaient fait mal.  Très mal.  Comme deux noyés essayant de pousser l’autre au fond de l’eau pour survivre.  Ils avaient laissé sortir le monstre en eux et les frustrations réelles de leur quotidien avaient été grossies, enlaidies, pour devenir des armes conçues exclusivement pour blesser l’autre. 

Ils étaient ressortis de cette conversation épuisés, vidés et honteux.  Depuis, leurs rapports étaient froids.  Des discussions administratives sans plus.  « Où avait lieu l’anniversaire d’un copain, à quelle heure la dernière dose de sirop, combien la fièvre »  mais jamais au grand jamais de « Comment vas-tu ? »

Tout au long de la soirée dans la maison au bord du fleuve, Isabelle avait raconté pendant que Johanne écoutait, remplissait le verre de vin et comprenait.  Très tard dans la nuit Isabelle avait avoué qu’elle se demandait  si elle aurait pu éviter de poser la question, mais qu’elle savait maintenant qu’une fois la question posée, une fois la réponse donnée, il n’y avait plus de retour.  Elle ne pouvait retourner dans son petit bonheur.

Ce dimanche d’automne, alors qu’elle termine son café, Isabelle n’a plus la force de penser. Elle ne veut plus rien dire.  Elle a dit assez.  Elle ne distingue plus vraiment ce qui est bon ou mauvais.  Mais elle sait une chose, elle a deux enfants, un travail, et elle doit avancer.  Elle sait qu’il n’y a qu’une façon de faire cela: en mettant un pied devant l’autre.   Alors elle termine son café, ferme sa valise et monte dans la voiture de sa meilleure amie qui la ramènera, en silence, chez-elle, à Montréal.

La suite sur Une question de trop 4

8 commentaires:

  1. Je pense que la vérité, même si elle fait parfois très mal, est toujours préférable au silence et à la stagnation.

    Très belle histoire, triste comme la vie l'est parfois, mais tout de même positive de mouvements à venir. Elle a bien fait de poser la question!

    France

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  2. Je trouve que tu décris excessivement bien, la tournure que peut prendre une discussion sévère de couple.

    Je le vis parfois. "Ces paroles, ces arguments" que l'on prend comme des armures...parfois, ce que j'avais l'intention d'appeler une communication prend la tournure d'un duel, d'un combat.

    Difficile tout ça.

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  3. @ France, comme le dit Kundera, l'ennui c'est qu'on n'a qu'une seule vie à vivre et qu'on ne peut comparer laquelle décision aurait été la meilleure. Il faut vivre avec les gestes que l'on pose et ceux qu'on nous impose. Merci de venir me visiter.
    @ Michèle et dans ce cas-ci ce ne sont même pas des armures, mais des armes.

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  4. J'aime beaucoup ton histoire, elle est si réelle.

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  5. Absolument palpable comme histoire. Vraiment. Et si sentie comme expérience.

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  6. @Jane et Mawoui merci beaucoup de vos jolis compliments.

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  7. Très réaliste comme événements et comme réactions aux événements. Et l'histoire n'est pas finie, elle rentre chez elle maintenant, pour combien de temps chez elle encore? Va-t-elle lutter pour son couple, en reste-t-il quelque chose de ce couple? Mettre le conjoint au pied du mur? Faire ses valises? Le tromper à son tour pour lui rendre la monnaie de sa pièce? J'ai bien hâte de lire le déroulement de l'histoire. Conntente que ce ne soit pas mon histoire à moi. Ça fait si mal et ça peut vraiment arriver à n'importe qui n'importe quand. Pas de sécurité en amour. Aucune. C'est justement quand on arrive à se sentir sécure que la menace plane le plus fortement.

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  8. @Femme libre, le prochain épisode publié ce matin, est le dernier, pour le moment. On verra où Isabelle ira après. J'aime bien penser, qu'elle en ressortira plus forte, peu importe le chemin qu'elle choisit. Mais qui sait?

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