Il aimait la musique (1)

Assis à côté de moi dans le train, il révisait des partitions. Une pièce qu’il préparait pour son examen d’entrée dans une grande école de musique de Montréal. Je n'avais pu m'empêcher de l'observer et de remarquer quelque chose en lui à la fois fort et faible, comme un petit garçon qui aurait trop vécu.
Environ dix-huit ans, l'air un peu bohème, il portait une veste en cuir usé brun que sa mère lui avait acheté. Avant. Quand elle disait oui à tous ses caprices et encourageait ses efforts à coup de cadeaux qu'elle n'avait pas les moyens de payer. Elle avait tout voulu pour ce fils qu'elle avait éduqué seule, l'avait aimé comme jamais elle n'avait aimé un homme, et avait voulu qu'il voit plus qu'elle, vive plus grand et plus loin qu'elle.

Et puis, un soir, il était entré, et lui avait annoncé qu’il partait. Une histoire de fille. “I got a see about a girl” qu’il avait dit. Ce n’était pas vraiment pour ça qu’il quittait, mais ç'aurait fait trop de choses à expliquer. Et il avait trouvé plus poétique de reprendre la phrase d’un film qu’ils avaient vu ensemble.

Sa mère n'avait rien dit. Ce n'était pas la première fois que Sébastien faisait à sa tête, mais cette fois-là, plutôt que de supplier, que de négocier, que de promettre mer et monde, elle n'avait rien dit, et l'avait laissé faire à sa tête. Il avait attendu un moment les promesses, le chantage "Je te paye la meilleure école privée, ne gâche pas tout, je vais te payer un voyage, si tu termines ton secondaire ". Elle était restée ferme. Plus par lassitude que par courage, elle n'avait pas dit un mot.

Il avait pris l'autobus avec le peu d'argent de poche qu'il avait amassé. Quelques semaines plus tard, un message laconique arrivait. "Je suis à Vancouver dans un internet Cafe. Je vais bien, inquiète toi pas." Puis le silence. Parfois de temps à autre, un bref message. Il allait bien, ne voulait pas qu'elle s'inquiète, avait besoin d'argent. Elle envoyait 100$, inquiète, se demandant où il dormait, s'il mangeait bien. Pendant des jours elle s'inquiétait, l'imaginait mort de froid, drogué, battu. Plusieurs fois elle avait pensé aller le rejoindre, mais elle ne s'en sentait pas la force. L'avion qu'elle n'avait jamais pris, l'anglais qu'elle ne parlait pas, Vancouver, si loin si étrangère, et surtout, une petite voix qui lui disait de ne rien faire, qu'elle avait pris la bonne décision.

Et un jour il était revenu. Plus petit, sale, comme roulé en boule sur lui-même. Comme un bourgeon de fleur qui aurait séché avant d'ouvrir. Il était entré avait mangé, en avait redemandé et était allé se coucher dans sa chambre de petit garçon aux murs couverts de posters désuets.

Il avait été silencieux pendant quelques jours et elle avait été patiente attendant, qu'il s'ouvre comme les doigts d'une main trop longtemps crispée en forme de poing. Et puis, il s'était mis à parler.

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