Il faisait son carême

Il s’était assis au fond, derrière une grande colonne qui le cachait à la vue du prêtre. Pourtant l’église était vide. Moi aussi j’étais entrée dans l’église. J’y cherchais un peu de calme pour réfléchir. Lui, écoutait la messe attentivement en priant.
Dehors il avait neigé. Une neige étrange comme il n’en avait pas vu depuis son arrivée au pays, en décembre. Lourde. Elle pesait sur les arbres; les fils électriques semblaient ployer sous son poids.  Il avait remarqué, juste avant d’entrer, un grand sapin dont les branches semblaient épuisées de cette oppression. Il se disait que peut-être la neige finira par retomber au sol plutôt que d’alourdir ainsi les branches de cet arbre vénérable.

Après la messe, il était resté un certain temps. Il faisait chaud à l’intérieur, ça faisait du bien. Mais il n’osait rester plus longtemps. Il avait honte d’utiliser cet endroit qu’il jugeait sacré simplement pour sa chaleur. 

Il s’était levé lentement pour faire durer le plaisir, pour rester plus longtemps dans cette chaleur réconfortante, puis  il avait discrètement traversé le lieu saint sur sa longueur en longeant le bas côté et s’était rendu jusqu’à l’avant, près des lampions. Il avait trouvé étrange ces lampions avec un interrupteur on/off. Chez-lui, on prenait le feu d’un lampion avec une longue baguette en bois et on allumait avec recueillement celui qui allait porter notre rêve.

Il était resté pensif devant les lampions, ceux à 1$ plus petits et ceux à 4$ pour les grands rêves. Il avait quelques piécettes dans sa poche, qu'il avait comptées une à une - Deux dollars et trente-cinq-.  Amassées ce matin dans un verre en carton qu’il avait dirigé vers les passants.  De toute façon, il n’avait pas assez d’argent pour demander à Dieu d’exaucer ses grands rêves.  Avec cet argent, il pourrait avoir un café et un beigne au restaurant de la gare, bien plus que ce qu’il aurait pu recevoir de Dieu pour un dollar. Avec ces quelques pièces, il aurait de quoi se sustenter jusqu’au soir, jusqu’au repas chaud qu’il pourrait manger au refuge.

Il avait quitté les lampions, à regret et, alors qu'il se dirigeait vers la porte de côté, il est passé devant moi.  Entre la tuque qui couvrait le haut de sa tête et un foulard qui couvrait sa bouche, j’ai vu ses yeux, noirs comme des charbons, qui brillaient d’une lumière particulière.

1 commentaire:

  1. Merci pour cette intrusion avec toi, dans cette église abritant un homme et ses maigres économies.

    Lampions on/off? Ça tue toute la magie des allumer avec une longue allumette, en effet...

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