Par la fenêtre, un rayon de soleil

C’est son regard triste, non, pas triste, accablé, oui c’est ça, accablé.  C’est son regard accablé que j'avais d'abord remarqué. Le matin, elle se maquillait, et ça paraissait moins, mais à 17h00, après sa journée de travail, le fond de teint et le fard ne suffisaient plus à cacher les regrets. Assise sur un banc du train urbain devant moi, Simone, la cinquantaine avancée, rentrait chez-elle son sac à main sur les genoux et le poids de toute sa vie sur ses épaules.


Elle tenait son sac à deux mains et j’avais remarqué le petit anneau en or fin sur l’annulaire de la main gauche.  Trop délicat pour être une alliance, il avait attiré mon regard.   Pendant longtemps, après son divorce, Simone avait continué à porter son jonc.  Elle trouvait qu’une femme de son âge avec une main nue, ça ne faisait pas sérieux, qu’elle aurait l’air d’une vieille fille, et qu’après 25 ans à s’occuper d’un homme, elle méritait un autre statut que celui-là.  Mais ça irritait Yvon, son ex.  Il y a quelque mois, elle avait déposé la belle alliance dans sa boîte à bijoux et l’avait troquée pour ce petit anneau qu'elle avait trouvé dans les affaires des filles, après leur départ pour leurs vies à elles.

C’était une des seules personnes dans cette partie du wagon qui ne pitonnait ni sur un téléphone, ni un ordinateur, elle ne lisait pas, ni ne regardait par la fenêtre comme les autres passagers.  Simone regardait au-dedans d’elle-même, à se demander où elle s’était trompée, à essayer de comprendre quelle croisée de la vie elle avait manquée pour se retrouver ainsi à 56 ans, coincée entre son travail qu’elle n’aimait pas et la petite maison de banlieue, offerte par Yvon pour faire pardonner son départ.  Une maison coquette qu'elle avait habillée pour les autres et qu’elle n’avait jamais aimé et où elle habitait maintenant seule.

Et soudain, le soleil qui se cachait depuis quelques jours était sorti d’un nuage, juste au moment où nous passions sur le pont Victoria et était entré dans le train doucement. Un rayon de soleil  était venu se poser sur son épaule pour la réchauffer.  Sur ses lèvres épuisées, était apparu un sourire.  Elle venait de se rappeler que Solange venait souper ce soir.   Solange sa meilleure amie, Solange qui prenait tout en charge comme un tourbillon humain qui dirait « Laisse faire, je m’en occupe, t’es fatiguée, tu travailles trop, laisse-toi gâter ».

Yvon n’avait jamais aimé Solange. Il disait qu’elle parlait trop, qu'elle prenait trop de place, qu’elle l’étourdissait. Pourtant Simone aimait cette façon qu’avait son amie d’écouter en parlant, d’être attentive à la courbe de ses épaules, à ce pli dans son front, tout en la protégeant avec des mots inutiles qui remplissait le silence laissé par l'absence. Simone arriverait chez-elle en coup de vent, apporterait de la nourriture, des mots et avec ceux-ci viendraient la vie et l’espoir.

Simone avait fermé les yeux, rassurée; elle n’était pas seule, elle avait Solange.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire