Entre le malheur et l'espoir - Du côté du malheur

Une sirène s’était fait entendre au loin et le gyrophare rouge était apparu dans mon rétroviseur.
Un soir de semaine en voiture sur l’heure de pointe, je m’étais éloignée de mes parcours habituels et je venais de traverser le Pont Champlain. Je me suis rangée à droite pour laisser passer  le véhicule.  Ce n’est que lorsqu'il m'a dépassée, que j’ai remarqué, écrit en grosses lettres sur le côté, les mots  «Transport d’organes. » Pour qu’un véhicule, ose se mettre dans le trafic à cette heure du jour, se déplaçant visiblement de la Rive Sud vers Montréal, une chaîne d’événements extraordinaires avaient dû se produire.

Cette camionnette qui passait à côté de moi était un cordon ombilical qui reliait un grand malheur à un immense espoir.

Du côté du malheur.

Il y avait Mireille et  Gilles qui étaient restés à l’hôpital abasourdis encore. Comme 2 vieux chiens qui restent près du cadavre de leur maître, longtemps après sa mort. Coincés dans cet espace sans nom entre l’avant et l’après.  L’avant, qui avait commencé quand le téléphone avait sonné au milieu de  la nuit. Julien venait d’avoir un accident. 

La moto, la maudite moto.  Mireille avait toujours été contre, mais à 22 ans, son fils faisait à sa tête, il avait promis d’être prudent, de ne pas boire quand il conduisait, de conduire lentement et il avait tenu parole.  Sauf que l’autre, lui, avait bu et était passé sur la lumière rouge.  Mireille se demandait, si l’autre avait aussi une mère qui l’aimait et qui lui avait fait promettre d’être prudent.

Stéphane était parti tôt le matin, il avait veillé avec eux toute la nuit, mais une fois que les décisions avaient été prises, les papiers signés,  il était resté seul un dernier instant avec Julien pour dire au revoir, puis était rentré chez lui se changer, se doucher et essayer de dormir.  Pour faire toutes choses que Julien aurait aimé qu’il fasse, parce qu’il était jeune lui aussi et qu’il n’avait d’autre choix que de continuer sa vie. 

Mireille et Gilles étaient restés à attendre, sans savoir ce qu’ils attendaient, sans oser avouer qu’ils avaient peur de rentrer dans la maison vide. Mireille se disait qu’il fallait qu’elle appelle Stéphane, qu’elle lui dise que c’était fini, que Julien avait été découpé en morceaux, que bientôt ses reins, son pancréas, son cœur et même sa peau, serviraient à d’autres.  Elle savait que c’était ce qu'il aurait voulu.  Mais elle ne pouvait s’empêcher de pleurer en pensant à son enfant éparpillé aux quatre coins de la province. Elle se consolait en pensant que des mères comme elle, pourraient recommencer à respirer et dormir la nuit parce le corps qu’elle enterrerait dans quelques jours, ne contiendrait pas le cœur de son fils.

Il faudrait qu’elle appelle Stéphane.  Il faudrait qu’ils discutent, des personnes à informer, de la cérémonie à organiser.  La cérémonie…  Elle avait eu un rire jaune, se disant : « Idiote, tu vas l’avoir ton Ave Maria »   en se rappelant ses pensées, deux ans plus tôt quand Julien lui avait présenté Stéphane.  Elle avait pensé à la cérémonie qu’elle n’aurait pas. Son fils, rouge d’émotion, lui avait présenté celui qu’il aimait, et elle s’était dit qu’elle n’aurait pas de belle-fille avec une robe blanche, ni de cérémonie à l’église avec une soprano qui chanterait l’Ave Maria.  

Demain, pourtant, elle s’assoirait à la table de la cuisine et prendrait la main de Stéphane et ils pleureraient ensemble.  Ils choisiraient les textes à lire et les chants.  Ensemble, ils parleraient de Julien.  Demain, ce serait Stéphane, l’amoureux de son fils, qui pour la consoler, proposerait une cérémonie à l’église avec une soprano chantant l’Ave Maria, et c’est elle qui dirait non, parce qu'elle savait maintenant que ce serait trahir son enfant.



4 commentaires:

  1. Ouf...c'est beau et dur à la fois. J'attends l'espoir.

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  2. Tu l'as modifié, non? J'aime vraiment beaucoup...

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    1. Oui, j'ai revu le début un peu. ;) T'as l'oeil!

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    2. Très bons changements! Ça le rend encore plus fort! :)

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