Le bonheur de Mimi


La liste de présélection du prix de la Nouvelle de Radio-Canada est sortie ce matin.  Ça me prend beaucoup de courage pour vous avouer, que j'avais osé y envoyer un texte.  Le texte n'a pas été choisi, et bien que je n'avais pas beaucoup d'espoir de m'y trouver, je vous avoue, que j'ai ressenti un pincement au coeur.  

Je demeure fière d'avoir osé participer, d'avoir osé sortir de ma zone de confort et pris le risque d'écrire un texte différent de ceux que je publie ici d'habitude.  Puisqu'une autre blogueuse que j'admire beaucoup a accepté de partagé aussi son texte qui n'a pas été choisi, je me suis dit que je le partagerais avec vous.  
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Le bonheur de Mimi

Le bonheur.  Bien sûr, le bonheur.  Certainement qu’elle savait ce que c’était.  Elle y avait même gouté une fois.  C’était un après-midi d’été, c’était il avait très longtemps. Elle était toute petite et elle s’appelait Mireille. 

Le bonheur comme une bulle de savon qui flotte.  Dedans, c’est doux, c’est confortable, on s’y sent en sécurité.  Dedans, il n’y a que le bruit du vent dans les arbres et le soleil qui brille sur un lac..  Pas de cris, pas de coups, pas de sirènes de police, pas la télé ou la musique à tue-tête.  Juste un silence enveloppant.

Mimi s’était réveillée avec une impression vague, comme une odeur sous une fenêtre ouverte qui passe sans qu’on puisse la saisir, comme un mot sur le bout de la langue :Bonheur.

Au Centre, il n’y avait ni vent, ni lac, qu’un seul arbre, qui se penchait vers la fenêtre de la cafétéria, et mourrait à petit feu, à force de respirer le même air qu’elles.  Pourtant, elle était certaine que cette petite lueur d’émotion dans son ventre, c’était un début de bonheur.  Elle y croyait, elle se disait que même rouillés, même inutilisés, les rouages de sont âme sauraient trouver cet endroit.  Elle y croyait sincèrement ; aujourd’hui, elle serait heureuse.

Elle avait même mis une robe pas trop fanée, trouvée à la friperie. Ça la changeait de son habituel t-shirt et ses jeans déchirés.     Une robe bleue comme cette journée-là.  L’autre fois dans sa vie où elle avait été heureuse.  Après le diner, elle avait  apporté les poupées.  Des vielles guenilles fatiguées,  trouvées  dans les boites de vêtements que les bonnes dames de la ville envoyaient au centre, mais des poupées quand même.

Les autres femmes l’avaient observée du coin de l’œil. Personne ici ne jouait à la poupée, personne ici n’avait jamais eu de poupée.  Ailleurs, chez les gens ordinaires, chez les gens qui mettent leurs vieux vêtements et leurs jouets usés dans des boites pour les sans-abris et les mal-aimés, une femme de cet âge ne sort pas de poupées pour jouer.  Ici c’était autre chose. Si les filles avaient su comment faire, elles auraient pris Mimi dans leurs bras couverts de tatouages et l’y auraient laissée pleurer longtemps.  Mais elles ne savaient pas, et avaient fait la seule chose qu’elles savaient faire: se taire et respecter.

Avec chaque geste qu’elle posait, Mimi se rappelait. La robe bleue, le vent, la dame.

Une dame était venue la chercher. Elle avait apporté un suçon à la cerise.  Elle lui avait dit que tout irait bien.  Elles avaient roulé longtemps.  De la fenêtre de la voiture Mireille avait vu les buildings, les ruelles, les cordes à linge, puis, un ciel bleu, taché ici et là de nuages blanc comme la neige fraiche tombée et finalement le ciel s’était couvert d’un toit vert pomme où apparaissaient des éclats de soleil de temps à autre.   Elle avait tout de suite compris où la voiture était arrêtée.  Le seul endroit au monde qu’elle connaissait qui détenant tant de beauté : la maison de son oncle Marcel et de sa tante Esther!!  

En descendant de la voiture, sa tante, lui avait dit, «  Mireille, remonte tes bas, t’as l’air d’une sauvage.   Sois sage. Va jouer dehors mais ne t’approche pas du lac. » Mireille avait sorti les poupées de la shed  et les avait installée sur les chaises autour de la table en métal sous le grand orme. 


Obéissante, elle s’était installée loin du lac, mais s’était placée pour bien voir le soleil qui jouait avec l’eau du lac. Elle avait assis les poupées comme des bonnes petites filles qui prenaient le thé. Elle avait redressé celle-ci trop molle qui glissait, avait ajusté les rubans de celle-là.  C’était de vielles poupées que ses cousines avaient laissées  en claquant la porte, pourtant  elle n’avait jamais rien vu d’aussi beau, d’aussi doux que ces grands yeux qui se refermaient quand on couchait la poupée, que ces robes de dentelle,  de velours soyeux.  Dans la maison, il y avait la dame qu’elle ne connaissait pas qui parlait avec son oncle et sa tante.  Par le moustiquaire de la fenêtre, elle entendait des bribes de conversation qu’elle ne comprenait pas, « Tutelle, DPJ, incapacité, responsabilité. »

Hier, il faisait soleil et une brise légère venait la caresser.  Dans le bureau de Guylaine, elle avait parlé de cette journée-là, du vent dans les arbres, du soleil qui luisait.  Guylaine avait pris sa main dans la sienne et l’avait regardée de ses grands yeux bleu pâle et lui avait dit « Tu vois, tu es capable de sentir le bonheur. Ça va nous faire quelque chose sur lequel construire.».

Mimi avait poussé des chaises en métal qui avait grincés à frottant le carrelage jusqu’à la table en mélamine faux-bois.  Elle avait placé les poupées sur les chaises, redressant celle-ci, ajustant la robe de celle-ci. Là, c’était parfait.  Comme ce jour-là.  

Son oncle était venu la voir, lui dire qu’elle habiterait maintenant avec eux, que sa maman  n’était pas bien et que son papa était parti loin, loin et ne reviendrait pas.  Il l’avait prise par la main.  Elle s’était sentie en sécurité sa petite main de fillette de 8 ans, dans sa grande main d’homme. Il lui avait répété les mots de la dame.  « Tout va bien aller. »,

Elle avait souri. La journée était magnifique. Elle avait plus de poupées qu’elle n’en avait eu dans sa vie. Ses doigts étaient encore collés et la saveur de cerise encore présente dans sa bouche. Elle comprenait qu’elle n’entendrait plus de cris, ne verrait, plus de chicane.  On lui parlait doucement.  La vie était plus belle qu’elle ne l’avait jamais été, pourquoi insistaient-ils tant pour dire que ça irait bien?

Ils étaient descendus jusqu’au lac, jusqu’au hangar à bateaux.  Son oncle était pâle. Il lui avait répété, avec une voix qu’elle ne lui avait jamais entendue« Tout va bien aller, tu vas venir vivre chez-nous.  Je vais prendre soin de toi.  »  Il s’était penché pour être à son niveau. Elle avait mis sa tête sur son épaule pour le consoler, se disant que quelque chose de grave devait se passer pour qu’il soit si ému.  Il avait tremblé quand elle s’était rapprochée de lui.  Il répétait en pleurant,  « Je vais prendre soin de toi, tu vas voir, tu es une belle petite fille,  je t’aime, Mireille ».  C’était la première fois que Mireille avait entendu ces mots, et elle les avait bu comme on boit l’eau d’une oasis au milieu du désert.  Elle s’étais sentie légère et heureuse, oui, heureuse.

Après.  Après, il avait continué de la serrer, à la caresser doucement, ses yeux était remplis d’eau, comme s’il n’arrivait pas à contenir une émotion trop forte.  « Je suis vraiment content que tu viennes vivre avec nous »  Après.  Après, elle avait reconnu cent fois ces yeux mouillés d’hommes qui confondent désir et amour.  Mais ce jour-là, elle s’était sentie heureuse, elle s’était sentie importante.  Elle aurait voulu lui dire qu’elle l’aimait aussi, mais qu’elle étouffait de plus en plus et qu’elle n’aimait pas qu’il la touche comme ça, qu’il mette sa main, ses doigts, là.  Elle aurait voulu crier, mais n’osait pas.  Elle voulait tellement être une bonne fille, elle voulait tellement être aimée.

Hier, Guylaine avait dit« Ton oncle Marcel est mort. ».   Hier, les secrets avaient été enterrés.  Enterrés avec la montre bracelet, la chemise des grandes occasions.  Enfermés dans une boîte doublée de satin, sous la terre dans le noir.  Enterrés les souvenirs.  Hier, elle avait cru qu’elle pourrait enfin être heureuse.

Dans la cafétéria du Centre, un cri avait retenti : « Il manque un couteau!», suivi du bruit mas d’un corps de poupée désarticulée qui chute, puis le silence.  Les filles avaient fermé les yeux.   Elles reconnaissaient ce silence. C’était celui d’une âme brisée qui se faufile sans dire au revoir, un peu gênée d’avoir dérangé, en faisant à peine le bruit d’une bulle de savon qui éclate.

Une flaque rouge s’étalait autour du poignet de Mimi tachant ses doigts ridés, coulant dans les craques entre les tuiles, créant un quadrillé rouge sur le carrelage blanc. Mimi mourait, les yeux grand ouverts et le sourire au lèvres.

Elle avait compris. Le bonheur c’était comme une bulle de savon qui flotte.  Dedans, c’est doux, c’est confortable, on s’y sent en sécurité.  Dedans, il n’y a que le bruit du vent dans les arbres et la lumière sur le lac.   Le bonheur c’est comme une bulle de savon, quand on essaie de la saisir, elle éclate. Pour la première fois de la vie de Mimi, après le bonheur, il n’y avait pas eu d’après. 

7 commentaires:

  1. Merci pour ce très beau texte, Sophie, un texte sur le bonheur et qui est si triste...

    Je comprends ton petit pincement. Participer à un concours comme ça c'est prendre un risque, c'est s'exposer, c'est être vulnérable. Pas facile, mais très valorisant. Tu peux être fière de toi!

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  2. Merci de partager ton texte à ton tour. L'histoire de Mimi est si tragique et si belle à la fois. J'adore comment tu parviens à mélanger laideur et beauté avec autant de fluidité. Cette phrase : "C’était celui d’une âme brisée qui se faufile sans dire au revoir, un peu gênée d’avoir dérangé, en faisant à peine le bruit d’une bulle de savon qui éclate."

    Magnifique.

    On se reprend l'an prochain et on réessaie? :) Pour ma part, je vais m'y prendre plus tôt et commencer à y penser tout de suite. Ce serait génial que tu relèves le défi avec moi, et peut-être qu'on sera toutes les deux dans les pré-sélections? On lâche pas! :)

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    1. Merci La Citadine, et c'est sûr qu'on prend rendez-vous pour l'an prochain, et oui, on s,Y prend d'avance. D'ici là, je suis encore ouverte à l'idée d'avoir un blogue où on pourrait écrire des textes.

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  3. Elle est merveilleuse cette nouvelle. Continue d'écrire et ne te décourage pas. À force d'essayer, on reconnaîtra ton talent. Bravo d'avoir participé et d'avoir aussi bien écrit ce qu'il y a à l'intérieur de toi.

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  4. Un texte poignant! Chapeau d'avoir oser le publier ici pour nous le partager :-)

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  5. Que j'aurais aimé que le bonheur se poursuive pour Mimi.
    Une prochaine fois sera ton tour ;-)

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  6. Oser écrire, c'est déjà un acte de foi... ou de confiance, en soi et l'autre, celui qui nous lit. Soumettre un texte à un concours, c'est un abandon total. Bravo. Ma phrase préférée aussi: C’était celui d’une âme brisée qui se faufile sans dire au revoir...
    On dirait une dentelle.

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