Une odeur, des mots, une image


Sara avait allumé une cigarette. Le bruit de l’allumette puis le crépitement du papier et du tabac qui s’enflammaient, l’avaient ramenés des années en arrière. Ce soir-là, elle et Étienne s’étaient embrassés et avaient fumé leur dernière cigarette, se disant que maintenant qu’ils s’étaient trouvés, ils avaient une bonne raison pour vivre vieux.  Elle, n'avait jamais touché une cigarette après ce soir-là.


Elle avait laissé la fumée remplir ses poumons, refermant du bout des doigts le sac Ziploc qu'elle avait trouvé.   Sur le bureau, un petit cadran indiquait 6 :00.  Elle avait lu toute la nuit. C’est l’odeur d’Étienne qui l’avait menée là. La quête de l’odeur en fait. Le vieux t-shirt avec lequel elle dormait depuis 2 mois ne sentait plus que l’odeur de ses larmes à elle. Comme une droguée prête à accepter les fonds de bouteille, les restes de poudre sur un miroir, elle s’était mise en quête de n’importe quoi qui aurait un peu l’odeur d’Étienne, pour sentir encore cette émotion qu’il provoquait en elle.

Elle s’était aventurée dans le bureau, à s’enfouir le nez dans le porte-document, dans les papiers, dans le porte-crayons espérant trouver ne serait-ce qu’une effluve qui aurait fait apparaitre Étienne. Elle avait ouvert un tiroir, puis autre.   Elle avait d'abord trouvé le Ziploc contenant les cigarettes au fond d'un tiroir.  Elle avait souri, étonnée que son Étienne lui ait caché cela.

Puis elle était tombée sur ce petit bout de papier couvert de chiffres: les mots de passe d’Étienne. Elle avait allumé l’ordinateur, se disant que faute d’odeur elle se contenterait de mots. Elle s'était convaincue, qu'elle n'allait pas là voir s'il y avait d'autres secrets, qu'elle y allait pour retrouver Étienne, son Étienne. Toute la nuit, elle avait lu.  Tous les courriels stockés durant toutes ces années et qui racontaient tous les petits détails de la vie d’Étienne et de la sienne par ricochet. Tout y était, du plus banal, « Achète du pain », aux échanges avec les clients et aux long courriels qu’il s’écrivaient quand leurs voyages les séparaient l’un de l’autre.

Le soleil se levait doucement sur la ville et les murs de l’appartement étaient couverts de mots. Les mots d’Étienne. Les mots d’Étienne éclaboussés partout, sur les murs, sur les meubles, sur le bureau où trainaient encore des reçus, une montre et le livre qu’il n’avait pas terminé. Les mots partout comme des milliers de gouttelettes de sang formant une image abstraite qu’elle essayait de comprendre, qu’elle pourrait comprendre si elle se concentrait, si elle n’était pas si fatiguée. Il y avait là certainement une réponse, qu’elle trouverait si elle se concentrait. Dans tous ces mots, il y avait à la fois l’homme qu’elle avait aimé, et quelqu’un d’autre, un inconnu qui fumait des Malboro en cachette et dont elle devinait les contours sans arriver à les saisir.

La cigarette se consumait lentement. Elle avait oublié de secouer la cendre, elle avait oublié de continuer à fumer, elle avait oublié, quoi déjà? Elle ne savait plus. Elle n’avait plus envie de la cigarette qui laissait un goût âcre dans sa bouche et regardait le bout de cendre qui s’allongeait. Il y a des passions comme ça, qui sont importantes pour un instant et disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, se disait-elle.

Si au moins Étienne avait vu venir la mort, s’il avait souffert d’une longue maladie, et qu’ils avaient eu le temps de se faire des adieux, peut-être qu’il aurait pu l’aider à comprendre ces mots qui s’étalaient sur les murs dans la lumière du matin. Mais voilà, elle était seule, dans le matin froid avec un vieux t-shirt qui ne sentait plus rien, à essayer de comprendre, à essayer de mettre ensemble l’homme qu’elle avait aimé et l’homme, là sur l’écran qui avaient écrit les mots : « Je t’aime tant que ça fait mal, mais notre histoire, ne pourra exister ».

Plus de dix ans de courriels et de messages où elle reconnaissait l’homme qu’elle avait aimé. Au milieu, mars 2007 à septembre 2007, six mois, une fenêtre, sur un autre homme qu’elle ne reconnaissait. Huit messages envoyés, autant reçus. Des lettres d’amour, écrites par un homme qu’elle ne reconnaissait pas, à une femme dont elle n’avait jamais connu l'existence.  De tous les mots qu’Étienne avait écrits, ceux-là seuls apparaissaient comme une tache dès qu’elle fixait son attention trop longtemps au même endroit.

S’ils s’étaient faits de vrais aux revoirs, s’il n’avait pas été happé par un conducteur ivre, est-ce qu’elle aurait su? Est-ce qu’il aurait su expliquer simplement, que cette passion n'avait pas duré,  que c’était à cause de cela qu’il l’avait tant aimée les années qui avaient suivi? Est-ce qu’il aurait trouvé les paroles pour expliquer que ces mots pour une autre étaient un geste d’amour pour elle.

Sara se disait que si elle se concentrait, elle pourrait mettre ensemble tous les morceaux et qu’elle arriverait à comprendre, mais elle se sentait lasse et les contours du visage et l'odeur d'Étienne disparaissaient sans qu'elle ne puisse les rattraper.

3 commentaires:

  1. Il me semble qu'elle fait mal, cette fenêtre de 6 mois. Ça doit être lourd pour ton personnage de savoir qu'elle ne saura jamais!

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  2. Quelle belle découverte. Merci à Julie et ses potins du dimanche!

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    1. Mamanbooh, bienvenue dans mon univers, on se croise sur plusieurs blogues depuis quelques temps il me semble. Moi aussi j'irai te lire, c'est sympa chez toi auss.

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