Il venait à Montréal pour le Grand Prix

Je l'avait croisé tôt le jeudi matin  dans le train. Tout suite, j'ai noté, que ce n'était pas un habitué du train de banlieue.  Quelque chose clochait.   Il portait une chemise orange impossible à manquer.  Comme à chaque année, à la même date, Michel trouvait un prétexte pour venir de Québec tenir des rencontres  au siège social.
Il logeait chez un ami et prenait le train de banlieue pour se rendre au bureau. Sa patronne, impressionnée qu’il évite ainsi des frais d’hôtel et de transport à l’entreprise, le citait en exemple à qui voulait l’entendre.

La veille, il avait rejoint Stéphane dans un bar de la rue Crescent et avait dit, en connaisseur: «Montréal, une fois par année c'est assez.  J'sais pas comment tu fais pour vivre ici à l'année.  On est tellement bien à Québec, on trouve. tout.  Montréal est une vieille pute fatiguée, ça fait du bien de temps à autres de se dévergonder, et de venir se vautrer dans ses bras, pour qu’elle nous y enrobe et nous fasse goûter un peu de cette gloire passée, mais j'vais être contente de retrouver mon BBQ dimanche.»

À 9 heures, la cravate flamboyante se serait déjà fait remarquer partout dans le bureaux où il saluait, affable, les grands patrons et refilait discrètement son numéro de cellulaire aux stagiaires rougissantes. Il s’assurait d’être brillant et engagé dans les réunions, et qu’on puisse en conclure que, vraiment, c'est beaucoup mieux quand les rencontres se tenaient en personne, plutôt qu'à distance comme d'habitude.

En après-midi, il s'installait dans un cubicule, l'air affairé, et préparait la liste des activités des 3 prochains jours, s'éclipserait discrètement en début d'après-midi jeudi, reviendrait quelques heures le vendredi, s'assurerait que tout le monde l'avait bien vu, et quitterait un peu avant midi en disant « qu'il y avait un dîner avec un client et qu’il retournerait à Québec après parce qu'il y aurait certainement du trafic sur les ponts. « Me semble qu'il y a un événement à Montréal en fin de semaine non? » laisserait-il tomber, nonchalamment.

Et il resterait à Montréal, et se mêlerait à la foule bigarrée, boirait du champagne et ferait l’amour avec des inconnues aux longues jambes dans des chambres d’hôtel qu’il n’aurait pas louées. Il aimait bien cette personnalité de vilain gamin qu’il se donnait pour 3 jours. Il savait que Montréal, cette vieille fille de joie, ne juge pas, parce qu'elle a tout vu et tout vécu et sait porter nos lourdeurs et nos passions en nous consolant et nous faisant rire.

Et, le dimanche venu, elle le laisserait repartir vers Québec, sa femme, ses 3 enfants et leur petit bungalow de banlieue.

La suite de cette histoire sur : Elle écoutait de la musique

2 commentaires:

  1. Et le soir venu, il se joindrait à sa femme déjà au lit, la collerait en cuillère sans lui faire l'amour, trop épuisé des derniers jours.

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  2. Michèle, Merci! C'est la fin qui me manquait. Si un jour je publie mon blogue je te la prend!!

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