Le creux de la vague

Assise près de la fenêtre, elle évite des yeux le journal que l’homme assis à sa droite lit. Elle n'a pas lu les journaux depuis trois jours.  Elle en est incapable.  La photo de ce tueur fou aux yeux bleus l'angoisse.  Un bel homme. N'eut été du titre qui annonçait qu'il avait tué, beaucoup, elle aurait cru que c'était un médecin, un savant, quelqu'un qui venait de faire quelque chose…de bien. Trouver une cure pour une maladie rare, signer un accord de paix.


Elle ne veut pas en lire plus. Elle, qui d'habitude s'intéresse aux grandes causes, et crises dans le monde, là, elle ne veut rien savoir de la crise en Éthiopie, du fou qui a tué, du politicien malade de cancer, du médecin que l’on veut juger de nouveau.  Elle est comme dans un creux de vague et respire une grande bouffée d’air, avant le ressac.

Elle ne veut rien lire parce qu'elle aurait trop à dire, parce que la douleur des autres, vient chercher la sienne, et elle ne sait pas si elle pourrait supporter ce trop-plein.  Alors à la place, elle a décidé de donner des vacances à son cerveau.

Elle lit un roman à l'eau de rose, s'occupe des petites choses, qui, une fois faites, libèrent d'un poids invisible.  Acheter le matériel scolaire, inscrire les enfants au camp de jour de la ville, prendre rendez-vous chez le coiffeur. Se sauver.  À la campagne, trois jours avec les enfants.  Des lapins, des poules, des moutons, des vaches, une tente, ses enfants et un chien heureux d'être avec sa meute et qui va se coller sur eux et lécher leur visage.  

Se rouler en boule, ensemble.   Aller cueillir des framboises. Vivre, oublier.  

Oublier quoi? Elle ne le sait pas trop.  Oublier quoi? Oublier ces choses au loin qu’elle ne peut contrôler, oublier les blessures plus près que ces nouvelles horribles viennent irriter comme une robe faite d’un tissu de mauvaise qualité qui frotte une blessure mal soignée.

Et en attendant, elle lit, un roman à l’eau de rose, pour panser ses plaies, les siennes. Un peu. Avant de retourner se préoccuper de celles des autres. Et malgré tout, elle sourit.

5 commentaires:

  1. Comme cela semble faire du bien déconnecter un peu...Se vider l'esprit des tracas quotidiens pour le remplir des petits bonheurs éphémères qui nous aideront à passer par dessus d'autres grosses vagues!

    RépondreSupprimer
  2. Elle aussi refuse d'écouter les nouvelles. Elle se contente de s'épuiser le corps, de s'étourdir l'esprit et de surfer sur des sites qui ne lui demande rien. Un jour, elle refera surface. Mais pas maintenant.

    RépondreSupprimer
  3. ¨¨Toujours moi¨¨28 juillet 2011 à 09:19

    Pourvu qu'en s'évadant, on ne se replonge dans d'autres blessures. Il n'y a rien comme d'être près pour être loin!

    RépondreSupprimer
  4. J'adore votre écriture! Je vous envie presque... Si j'étais vous, je songerais à publier les observations de Quelque part. Je serais, sans aucun doute, votre première acheteuse et lectrice!!!

    RépondreSupprimer
  5. @ Michèle et oui, on oublie souvent, que le corps humain comme la machine a besoin de "temps d'arrêt" pour mieux fonctionner
    @MJ et oui...
    @Toujours moi Un bon point, mais ça fait du bien de prendre du recul
    @Dominique Merci!!! ça fait plaisir !

    RépondreSupprimer