Un simple morceau de papier.

Ève tournait un un bout de papier entre ses doigts.  Les autres, pensait-elle, semblaient savoir ce qui leur fait du bien. Pour certains c'était le calme et la solitude qui les rendaient heureux, pour d'autres, c’est en famille qu’ils pansaient leurs plaies ou se remettaient de bonne humeur, il y en avait, qui retrouvaient leurs moyens dans le bruit de la ville ou une soirée à danser dans un bar avec des inconnus.

Mais pas Ève. Elle, elle ne le savait pas. Elle riait quand les autre riaient et pleurait lorsqu’il le fallait, au cinéma et dans les enterrements.   Elle n’était pas malheureuse mais n'était pas heureuse non plus.  Elle ne savait juste pas comment être heureuse.  Elle savait plaire, faire plaisir. Elle anticipait les besoins des autres. À la limite on aurait pu croire que c'était ce qui la rendait heureuse.

Le pire c’est lorsqu’on lui demandait son opinion et qu'on attendait qu’elle exprime ce qu’elle voulait.   Avec les années, elle avait appris à lire dans l'attitude des gens ce qu'ils espéraient qu'elle veuille.  Elle choisissait les vêtements que recommandait la vendeuse,  le plat du jour au restaurant et laissait son coiffeur dicter sa couleur de cheveux.  Pour Noël et son anniversaire, elle demandait les dessous qui affriolaient son mari, les appareils électroniques que les enfants souhaitaient. Au lit, elle restait étendue, en faisait les bruits attendus.   Toute sa vie son mari avait cru être un excellent amant.  Elle n'aurait su dire s'il était bon ou mauvais.

Et elle regardait interloquée, le billet de loterie qu'elle avait acheté,  pour faire plaisir a son mari. Avec les numéros qui signifiaient quelque chose pour les autres, la fête de sa mère, l’âge de son mari, leur anniversaire de mariage... Elle regardait un à un les chiffres. 2, 17, 23, 36, 44, 48, vérifiait le montant : $38 million et regardait de nouveau le billet interloquée.  Le manège avait duré toute la durée du trajet.

Quand le train était arrivé en gare, pour la première fois de sa vie, elle avait su ce qu’elle désirait. Elle avait chiffonné le bout de papier, l’avait jeté au recyclage et quitté la gare un sourire au lèvres.

7 commentaires:

  1. Je me sens interpellée par cette histoire. Pas seulement parce que je m'appelle aussi Ève, mais parce que j'ai toujours pensé que si je gagnais un aussi gros montant d'argent à la loterie, je ne crois pas que je réclamerais le lot... C'est ben trop d'argent!

    RépondreSupprimer
  2. Ouille...je n'aimais pas lire cette description d'Ève, qui, loin d'être elle-même, semble trop vouloir plaire aux autres...J'espère que le dépôt de ce petit billet à a poubelle lui fera prendre une autre tournure: apprendre à être elle-même!

    RépondreSupprimer
  3. @Bizz, Moi non plus je n'aimerais pas gagner un gros montant d'argent, je n'achète pas souvent des billets de loterie et encore moins quand le gros lot et immense. Surprise de te voir encore par ici. Le bébé doit arriver bientôt!

    @Michèle, elle est extreme, mais est-ce qu'on ne fait pas tous un peu ça de temps à autre, ne pas s'écouter, faire ce que les autres attendent de nous?

    RépondreSupprimer
  4. Oui...tu as raison, voilà pourquoi je n'aimais pas le feeling de lire cette description...peut-être parce que je m'y retrouvais un peu ;)

    RépondreSupprimer
  5. Merci d'avoir laissé un si gentil commentaire sur mon billet, ça m'a permis de te découvrir à mon tour!

    J'adore la chute de ce texte. Il est temps pour Ève de se retrouver :)

    RépondreSupprimer
  6. voici la description d'un grand nombre de mes clientes...

    RépondreSupprimer
  7. Le bébé n'est pas encore là, à titre informatif.
    Moi non plus, je n'achète jamais de billet quand le montant est trop gros, ça me fait ben trop peur!

    RépondreSupprimer