Alice dans sa poussette (1)

Tous les jeudis matins c’était la même routine, sortir du train, traverser le grand Hall, avec en haut le tableau avec les horaires. Des lettres et des chiffres en jaune qu’elle ne comprenait pas  mais qu’elle trouvait jolis vus d’en bas. Elle voyait les gens en retard courir, ceux à l’heure marcher d’un pas décidé. Sa petite tête tournait à gauche et à droite, séduite par les valises qui passaient rapidement, les porteurs dans leur uniforme, les décorations de Noël au plafond qui brillaient de dizaines de lumières bleues.


« Papa… Noël … » Assise dans la poussette que son papa poussait au travers de la foule, Alice observait la monde. Tout passait rapidement, mais chaque nouvel objet, coloré, illuminé la faisait babiller, apportait un sourire lumineux sur son visage émerveillé d'enfant. Pour elle, chaque matin était une aventure.

Son petit doigt pointé, vers le comptoir de gâteau «‘Ga’d papa, gâteau », la poussette passait à toute vitesse, et déjà les gâteaux étaient derrière et le regard de la fillette était attiré par le magasin d’articles de cuisine où brillaient des casseroles, des assiettes dorées et toute une panoplie d’objets de toutes les couleurs.

Ce matin-là,  la foule étant plus dense, son père avait dû ralentir près du fleuriste avec ses grands vases remplis de gerberas et Alice avait eu le temps de bien observer les fleurs, les oranges, les fuchsias, les jaunes, le feuillage vert qui servait à remplir les bouquets. Son petit doigt pointait: « Papa, les ffffleurs… Rose… Orange …Rouge…»    Pour la troisième fois, son père ne répondait pas. C’était toujours comme ça. Surtout le jeudi, il avait la tête ailleurs, dans ses ennuis d’adulte. Elle l’entendait marmonner, contre les gens qui bloquaient le passage, le couloir trop étroit et mal conçu.

Du haut de ses 4 ans, Alice ne comprenait pas que son père avait la tête ailleurs, qu'il bourrait son crâne de problèmes à résoudre et d'impatience contre les inconnus pour bien colmater les trous de son cerveau comme on calfeutre une fenêtre pour ne pas y laisser entrer le froid de l’hiver, parce qu’il ne fallait pas que d’autres pensées y entrent.

Les jeudis matins, l'exaspération contre les passants et les idées pour son travail étaient l'armure et le casque de Benoît, le père d'Alice.  La poussette de sa fille était son char d'assaut.

A lire, la suite Alice dans sa poussette (2)

1 commentaire:

  1. Pauvre petite Alice qui, avec son âme d'enfant, prend le temps de s'arrêter aux belles couleurs de la vie...

    Pauvre Benoit qui, avec son cerveau d'adulte, ne fait que bourrasser et rendre gris tout autour de lui...

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