Le rêve du petit robot (2)

Suite de Le rêve du petit robot (1)

Il voulait être autre chose que ça. Autre chose que cette routine: se lever,  déjeuner, reconduire les enfants à l’école, se rendre à l’usine ou au siège social pour des réunions, planifier, prendre des décisions automatiquement;à tout instant, faire ce qu’on attendait de lui.
Il rêvait de vivre à son propre rythme, de prendre le temps d'être. S’arrêter quelques minutes, ici et là. Regarder la vie, la sienne, celle des autres. Avoir l'impression que ce que l'on fait a une signification.   Goûter le café, pas seulement pour la sensation dans ses veines, mais surtout pour le goût qu'il laisserait sur ses lèvres. Vivre lentement, mais intensément.

Une image s'était formée à son esprit, et il l'avait laissée venir, comme un petit animal qu'on apprivoise. Il aurait voulu recommencer à faire de la photo.  Prendre son appareil, s'asseoir au coin d'une rue, et croquer ces petits moments d’absurde, qui, mis bout à bout, deviennent la vie. Il s'était imaginé revenant par le même train, après une journée entière passée à croquer les gens en photos, à les surprendre dans leur intimité au milieu de la foule.  On en ferait un livre magnifique, qui raconterait Montréal dans un coffret cadeau.

Un ouvrage au titre accrocheur, quelque chose qui ferait tourner les têtes qu'il irait présenter au Salon du livre et à cause duquel il serait peut-être même invité à "Tout le monde en parle". Il y passerait la soirée en compagnie de gens célèbres qu'il ferait rire.  Il serait intéressant, spirituel, il aurait les mots appropriés.

Et Daniel avait déposé son Blackberry pour mieux se concentrer sur son rêve, qui montait vers son cœur, comme une bulle de champagne, dorée, lumineuse.  Il était resté comme ça un long moment, tout à cette  émotion,  avec sur ses lèvres un léger sourire.

Quand le chauffeur du train l’avait trouvé à la dernière station, il souriait encore, mais son cœur de petit robot avait bêtement cessé de battre et son corps était déjà froid.  Dans son Ipod, Frank Sinatra, ironique, chantait "My way".