Une histoire d'amour en bleu et jaune

La première fois qu'il l'avait vue, c'était un après-midi de printemps.  Il avait remarqué les draps qu’elle étendait sur la corde à linge, des draps à fleurs jaunes et bleues et s'était dit: « Tiens, le beau temps arrive ».

Depuis des années, Charles prenait le train de Montréal à Québec pour son travail et de Québec à Montréal pour rentrer chez lui. Plusieurs fois par semaine, il faisait la même voyage et avait pris goût à ce rythme de vie entre 2 villes.

Ce qu’il aimait le plus c’était le trajet qui lui pemettait d’être comme un spectateur au cinéma. Il aimait découvrir un village d’est en ouest quand la route principale le traversait du nord au sud. Il ne s’était jamais lassé d’observer les bribes de vie et les petits univers bâtis près des rails, deviner la vie des autres à l’envers, voir leur arrière-cour, les vieux morceaux de bois cachés derrière le cabanon, les premiers baisers derrière la piscine, les meubles qu’on repeint, les uniformes tachés séchant au soleil. Personne ne dérobe ses secrets aux regards des passagers du train, parce que le train, ce n'est personne, c'est un objet qui bouge et qui passe, et nul ne se préoccupe des inconnus qu’il renferme. Ce sont des visiteurs qu’on ignore, parce que le train les rend anonymes.

Elle plantait des bulbes à l’automne, dans sa cour, loin du regard des passants, et au printemps s’assoyait pour lire dans un fauteuil entourée de tulipes roses et de jonquilles. Au printemps elle accrochait des draps sur la corde et ne les retirait que lorsque la neige qui était tombée au sol ne fondait plus.  En été, elle avait une tonnelle sur laquelle elle faisait pousser des rosiers, qui embaumaient jusqu’au train malgré les fenêtres hermétiques.

Certains après-midi d’été, il l’avait vu danser les bras grands ouverts, les yeux tournés vers le ciel.  Parfois, elle avait parfois des visiteurs qu’elle recevait avec une grande carafe de thé glacé rempli de citrons.  L’hiver, elle faisait des bonshommes de neige avec un nez en carotte et un chapeau melon.

Et sans s’en apercevoir, il était tombé amoureux.  À force d’attendre, ému, de Montréal vers Québec, la fin de la longue rangée de sapins, pour voir son jardin apparaître,et n’avoir que quelques secondes pour la trouver, sous la tonnelle, sur la terrasse, et une minute ou deux pour l’observer.  À force d’essayer de deviner,  quand il voyait apparaître sa maison, sur le trajet de Québec à Montréal, ce qu’elle faisait quand il voyait la fumée à la cheminée, le parasol bleu ouvert ou une voiture dans l’entrée.

Et puis un jour en revenant de Québec, il avait vu, de loin une affiche à vendre devant la maison.  Et il avait pleuré.

3 commentaires:

  1. Cela me rappelle trop quand je prenais le train pour aller visiter ma soeur qui habitait au N.B. Épier les gens, passer derrière leur cour, être ni vue ni connue mais m’immiscer un peu clandestinement dans la petite vie des gens.

    Malheureusement, je ne le faisais pas aussi régulièrement que cet homme das ton histoire. Donc, je ne pouvais avoir hâte d'arriver à telle ou telle maison.

    C'est mignon comme tout comme histoire et évidemment, très bien décrit.

    RépondreSupprimer
  2. Wow... C'est tellement beau et touchant! Vraiment, bravo. Merci de m'avoir fait vivre une si belle et unique histoire d'amour :)

    RépondreSupprimer
  3. @Michèle Cette histoire est en effet inspirée d'un récent voyage en train durant lequel j'ai eu beaucoup de plaisir à observer la vie des gens et imaginer combien on pourrait découvrir d'une personne qu'on ne verrait que de la fenêtre du train...

    @La citadine Merci. J'avais envie d'une histoire à l'ancienne. Contente que ça t'ai plu!

    RépondreSupprimer