C'est fini.

Pieds nus sur le carrelage de la cuisine, Anne avait commencé par regarder  les gouttes de café qui tombaient dans la cafetière avec un petit bruit mouillé. Plouc, plouc, plouc. Elle avait choisi la tasse bleue, l’avait remplie de café aux deux tiers, avait ajouté le sucre en observant les grains qui disparaissaient un à un dans l’abîme obscur, puis avait versé le lait jusqu’à ce que le liquide atteigne un brun doux et voluptueux.

Par la fenêtre, le soleil de décembre entrait, timide. Elle avait déplacé le chat et s’était assise sur le fauteuil de velours rouge. Ce fauteuil rouge qu’elle avait mis près de la fenêtre pour pouvoir regarder la mangeoire à oiseaux, le vent dans les feuilles de l’érable, entendre le bruit de la rivière. Ce fauteuil où elle ne s’était jamais assise et qui était couvert de poils de chat.

Lentement, doucement, elle avait bu le café en regardant, dehors, la mangeoire vide, dedans, une grande page blanche qui l’attendait. Sa vie. Une page blanche, mais une page qui lui appartenait. En se disant qu’elle aurait dû faire ça bien avant. Si seulement elle avait pu comprendre plus tôt que ce serait si facile.

La veille, après le souper, elle avait ramassé la vaisselle du repas qu’elle avait préparé, nettoyé les miettes sur le comptoir, mis les bouteilles de bière dans la caisse vide, passé le balai, puis, les mains bien à plat sur la table de cuisine, avait regardé Alain dans les yeux et avait dit, simplement: « C’est fini ».  Il avait eu l’air surpris; elle ne lui avait jamais parlé sur ce ton. Pourtant, il avait compris, s’était levé sans finir sa bière.  Il avait mis ses quelques affaires dans une vieille boite en carton et une valise miteuse, et avait traversé la porte de l’appartement sans se retourner.

Elle avait pleuré une partie de la nuit et s’était endormie au petit matin le visage dans son oreiller mouillé. Elle s’était levée légère, sans le poids qui l’oppressait depuis des mois.  Sans l'amour qui étouffe, ni le besoin de cet amour.

Assise pieds nus dans un fauteuil de velours rouge, elle regardait le grand érable de la cour, nu et sans feuilles et le sol sans neige. L’hiver attendait. L’automne, se prélassait, prenait son temps.

3 commentaires:

  1. une autre façon de changer de train...

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  2. Je profite de ce petit billet, qui me fait réfléchir!, pour te dire un petit Coucou!

    Merci de prendre le temps de partager ces mots que tu manies si bien!!!

    Au plaisir de te lire!

    http://lesstarsfilantes.blogspot.com/2011/12/journee-coucou.html

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  3. Coucou! Petit mot pour te dire que je lis régulièrement. J'aime tes textes!

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