Je t’attendrai ce jour-là

C’était le premier lundi après le congé les Fêtes. Les autobus jaunes avaient recommencé à sillonner les rues de la banlieue. À la gare, une lente procession de paletots gris, de manteaux beiges,de vestes noires, sortait de chacun des escaliers menant aux trains urbains. La vie de tous les jours recommençait, dans toute son étroitesse, dans toute sa répétition, dans tout son confort. La salle des pas perdus de la gare se remplissait et se vidait comme contrôlée par la respiration d’un géant endormi.


Au milieu de la gare, se croisaient ceux qui allaient travailler et ceux qui partaient en voyage. Les premiers marchaient avec un rythme un peu plus lent, plus harmonieux qu’avant le congé, avec encore un peu de l’éclat de lumières de Noël dans les yeux, les seconds, quelques grands-parents qui avaient prolongé le temps à cajoler leurs petits, quelques fonctionnaires endormis en route pour Ottawa ou Québec selon leur allégeance, attendaient leur train patiemment.

Au milieu de la gare, Élodie, dans un grand manteau capucine, attendait le train de Rivière-du-Loup. Deux semaines sans Mathieu, deux semaines dans la grande ville si petite en son absence, à tourner en rond dans le 4 et demi immense où ils avaient longuement discuté avant son départ, de l’étonnement qu’ils avaient à se découvrir amoureux l’un de l’autre, de ce bonheur qu’ils avaient à être ensemble, et de la décision que Mathieu devait prendre.

Elle lui avait dit: « Ta vie est tracée. Tu viens de terminer tes études, tu peux rentrer à Rivière-du-Loup, travailler dans l’entreprise familiale, renouer avec la petite amie du secondaire et lui faire 4 enfants. Tu sais à quoi t'attendre. Pas de surprises, pas de déceptions. Je ne sais pas si tu seras plus heureux avec moi dans 2 ans. La traversée risque d’être difficile, mais ça sera notre chemin et la vue risque d’être drôlement belle. »

 Il l’avait serrée dans ses bras, et lui avait avoué , « Je ne t’avais pas prévue dans ma vie. Je n’avais pas entrevu l’homme que je suis avec toi, il m’enivre et me fait peur à la fois. » Elle l’avait longuement embrassé et lui avait dit: « Toi, tu as tout à perdre, moi je n’ai que du bonheur à gagner. Je ne peux prendre cette décision à ta place. La mienne est prise» Il lui avait promis de réfléchir; ils s’étaient fait une promesse comme au cinéma. S’il était à la gare ce jour-là, c'est qu’il l’aurait choisie, elle, sinon, c’est qu’il aurait préféré la vie qui était prévue. Elle avait répondu : « Je t’attendrai ce jour-là»

Le train de Rivière-du-Loup s’était vidé, d’autres trains s’étaient remplis, les banlieusards étaient à leur bureau depuis longtemps et Mathieu n’était pas revenu à Montréal.

Il avait choisi le chemin facile.

Elle était sortie, légère, pleine de cette jeunesse qui rosit les joues. Dehors, la neige tombait, de ces gros flocons qui donnent envie de sortir la langue, ce qu’elle avait fait sans hésiter. La vie, toute blanche, toute à elle, l’attendait.  Elle avait 20 ans, elle était heureuse.

4 commentaires:

  1. En effet: http://fr.wikipedia.org/wiki/Capucine_(couleur)

    C'est très cool ce blog. Et ton style est de plus en plus fixe. Il y a quelques chose qui me fait penser à ça: http://vimeo.com/33211636 mais en texte. Peut-être, que bout à bout, dans 3 ans, ça donnera quelque chose du genre, qui sait?

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  2. "La salle des pas perdus de la gare se remplissait et se vidait comme contrôlée par la respiration d’un géant endormi." Quelle image magnifique!
    On prend toujours un train pour quelque part, chantait Bécaud. Mais parfois, c'est pour un aller simple. Et parfois, c'est le meilleur chemin.
    Merci d'écrire.

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  3. J'adore... Je connais bien la salle des pas perdus et tu la rends à merveille. Continue d'écrire!

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  4. @Luc, un gros merci pour ton commentaire. Ça me flatte beaucoup. Merci pour le lien, d'ailleurs, l'inspiration pour ce blogue vient de quelque chose d'un peu similaire http://www.quelquepartblogue.com/2011/04/mon-petit-projet.html

    @MJ Merci de me lire

    @ Nathalie, si tu connais la salle des pas perdus de la gare, fais le tour de mes articles précédents, tu la retrouveras à plusieurs endroits et merci de venir me lire.

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