Juste ça

À la SAQ, nous sommes quelques-uns à aller acheter une bouteille pour une dernière célébration des Fêtes. À la caisse à côté de moi, une dame dans la soixantaine, manteau d’hiver un peu fané, les cheveux bien coiffés, discute avec la caissière. Le ton monte.
- Ben voyons, c’est une carte-cadeau ça. Vous voyez bien, essayez-la encore.
- Ça fait trois fois que je la passe, Madame. Elle n’est pas activée. Normalement elles sont activées quand on les paye.
- Vous ne comprenez pas. C’est un cadeau…. De mon fils. Je vous l’ai dit, c’est écrit ici: 100$.  C’est comme de l’argent.
Le ton est aigu, presque désespéré.
-C’est un cadeau, madame. Un ca-deau, c’est le cadeau de Noël,  de mon fils Eric.
À la fin, le gérant était intervenu. « Madame, on ne peut pas accepter les cartes qui ne sont pas activées. Il semble y avoir un problème avec la vôtre. Demandez à la personne qui vous l’a donnée si elle a le reçu. Avec le reçu, on pourrait vous aider.»

En désespoir de cause, elle avait demandé de la voix d’une enfant punie, « Et si je prends juste ça. » en mettant de côté,  à regret, la bouteille de Baileys. « Ça fait combien? ». En fouillant dans chacune des pochettes de sa sacoche et dans le poches de son manteau, entre les vieux mouchoirs usés, elle avait  trouvé assez de billets et de pièces pour payer le montant nécessaire pour la demi-bouteille de vodka bon marché, qu’elle tenait fermement.

Elle était sortie dans le froid de l’hiver, glissant avec ses bottes en faux cuir , sur le sol couvert de glace, se disant qu’elle avait probablement bien fait de se déplacer à une succursale qu’elle ne fréquentait pas normalement. C’était quand même gênant ce genre de situation. Déjà qu’elle avait déjà eu quelques histoires dans sa succursale habituelle et avait l’impression que les caissières lui jetaient des regards méfiants.

Elle avait marché rapidement pour se rendre à la voiture, il fallait qu’elle se dépêche pour aller préparer le souper de Raymond. Avec cette histoire, les patates risquaient de coller au fond de la casserole. Mais bon, à cette heure-ci, Raymond qui avait passé la journée à écouter le sport à la télé, avait bu suffisamment de bière pour ne plus reconnaître le goût du brûlé.

Assise dans la voiture stationnée, elle était restée quelques secondes, malgré tout à réfléchir. Ah! Eric! Ce fils à qui elle n’avait jamais rien pu refuser. Ah qu’il était beau!. Et intelligent. Elle avait tellement été contente de le voir arriver le soir de Noël, avec son bel habit, souriant. Il l’avait embrassée sur le front, lui avait mis la carte dans les mains « C’est juste pour toi, parce que lui… » Ça faisait plusieurs mois qu’elle ne l’avait vu. Il lui avait parlé d’une nouvelle job, d’argent qui entrait, de la sortir de là.

Mais là, avec cette histoire de cartes, elle ne savait plus quoi penser. Elle avait sorti la bouteille, en avant pris une grande rasade en fermant les yeux et avait senti la chaleur entrer dans son corps et doucement l’engourdir, jusqu’à ce qu’elle oublie, Raymond, Eric et cette vie trop étroite, dont elle n’avait pas voulu.

La suite de ce texte L'odeur des rêves

5 commentaires:

  1. Ouf!
    Je suis sans mot... et toute triste.
    Tu racontes tellement bien les choses!

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  2. Je croyais dur comme fer que c'était vrai au début!!! J'étais bien contente de voir que je n'étais pas la seule à (encore) fréquenter la SAQ le 3 janvier!

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  3. @fée des bois et toi, tu montres tellement bien les choses!
    @ Michèle, je suis effectivement allée à la SAQ le 2 janvier. L'histoire est inspirée de cette visite!

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  4. Si un jou tu publis un recueil de tes meilleurs récits, celui-ci devrait y être avec celui de la dame au chapeau fleuri, du garçon handicapé .....entre autres
    Xxx
    Katia

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  5. ¨¨Toujours moi¨¨4 janvier 2012 à 16:17

    Moi, je lui aurais payé son Baileys et lui aurais donné un gros bec sur la joue en lui disant: ¨¨de la part de ton fils¨¨

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