Une amitié comme un naufrage (1)

Trois fois elle était ressortie de la cabine. « Et ça? comment ça me va ? » François répondait invariablement « T’es belle. Comme toujours. » Il gardait son calme. Madeleine allait souper avec Sylvie. Ça lui arrivait tous les 6 mois et, à chaque fois, sa femme, si calme, si posée, perdait ses moyens.
Elle et Sylvie, un duo improbable qui durait depuis l'adolescence. Madeleine la « bollée », première de classe, Sylvie qui fumait à 13 ans, savait tout sur les groupes de rock et avait doublé sa 4ème année. Sylvie qui pouvait avoir les garçons qu’elle voulait, Madeleine qui passait des heures dans ses livres et terminait première de classe.

Un jour, Madeleine était tombée amoureuse, de Louis, un grand blond à lunettes, qui rêvait de devenir ingénieur et passait ses soirées à la bibliothèque à étudier avec elle. Sylvie avait dit, « Tu peux pas aller à une date avec tes airs de saint-nitouche, viens on va magasiner. ». Madeleine avait suivi à la lettre les conseils de son amie qui s’y connaissait en hommes. Le jeune homme avait paniqué devant la grande blonde parfumée, maquillée, peinturée jusqu’au bout des ongles qui ne ressemblait en rien à l’adolescente timide dont il était secrètement amoureux et n’avait jamais rappelé. Madeleine avait pleuré des heures durant jusqu’à ce que Sylvie tranche en affirmant « De toute façon, y frenche mal ». L’essence de cette amitié nocive avait ainsi été scellé et Madeleine avait continué de croire qu’elle était laide

Madeleine avait vécu comme si elle ne s’intéressait pas à la mode, ni aux apparences et ne portait pas attention à ce qu’elle portait en général.  Un jour, François s’était retourné sur la rue pour voir passer cette ravissante femme désinvolte, et n’avait cessé de l’aimer depuis. Sylvie avait vécu sa vie montrant ses seins, ses fesses, et travaillait comme serveuse dans un casse-croûte de la banlieue et disait à qui voulait bien l’entendre qu’elle serait chanteuse, un jour.

Leur amitié avait tenu. Comme un navire déchiré qui continue de flotter sans mât, sans voile. En sa présence, Madeleine se sentait comme la petite fille trop maigre, trop grande, la poitrine comme une planche à repasser, Sylvie qui jouait la dure, vivait ses histoires d’amours pathétiques et ses peines d’amours en chute libre et enviait le bonheur facile de son amie. Elles se voyaient de façon sporadique. Comme deux naufragés qui se poussent l’un l’autre pour survivre, passaient la soirée à se griffer à se blesser, pour reprendre un peu d’oxygène, et, la soirée terminée, repartaient chacune vivre sa vie.

Pour ces retrouvailles, Madeleine avait longuement cherché le look parfait, avec des vêtements impeccables, mais qui auraient l’air désinvolte, ramassés en passant, comme si elle n’y avait pas pensé, comme si elle avait pris des vêtements qui traînaient, mais qui seraient neufs et parfaits, un look qui montrerait qu’elle était devenue une femme solide, sûre d’elle.

Et qui dirait surtout, que la vraie beauté est intérieure.

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