Le serment de Guillaume

Guillaume était sorti nu-tête malgré le froid. Nathalie aurait crié. « Mets ta tuque, tu vas te geler les oreilles ». Il avait démarré la voiture et attendu un peu que la vitre dégivre pendant que la radio lui remplissait la tête d’une musique assourdissante parfaite pour l’empêcher de penser.


Il était entré à l’épicerie, se rappelant que sa mère viendrait reconduire les enfants, se disait qu’elle allait descendre, poser des questions, exigerait des réponses. “Tu perds du poids, t’es pâle. As-tu vu ton médecin?, t’as pas l’air bien. Veux-tu que je vous prépare quelque chose pour souper” Il s’était dit qu’il achèterait du lait, des oeufs, de la bière qu’il avait mis sur sa liste, mais aussi des pâtes pour faire un souper, ça la rassurerait.

La vie que Nathalie avait construite pour eux reprenait peu à peu. Après sa mort, il avait senti que le sol s’effaçait sous ses pieds. Vivre sans Nathalie la forte, vivre sans le roc de leur famille, sans Nathalie qui prenait les décisions, qui organisait la vie avait semblé impossible, et puis, il avait machinalement repris la routine, se levait le matin, faisait les lunches, allait chercher les enfants après l’école, les nourrissait, aidait aux devoirs, riait même parfois. Chaque journée était construite autour de la vie que Nathalie avait planifiée pour eux avec ses horaires et sa routine bien huilée. Mais parfois quand elle n’était pas là pour crier «La porte, les mouches », « Brossez vos dents », ou « Mets ta tuque », il leur arrivait d’oublier.

Et depuis que la routine reprenait, il réfléchissait, beaucoup, à sa vie, celle qu'il avait adoptée en choisissant Nathalie, à la vie dans laquelle il avait peur de rester coincé, la vie d’une morte. On le plaignait, on l’entourait, on lui disait que la vie continuait, mais lui se demandait, si c’était la vie qu’il voulait, celle qu’il voulait continuer.

Tranquillement, cette réflexion l'avait guidé vers l'autre choix. Celui qu’il avait rejeté sur une plage de Cozumel, il y avait de cela 20 ans. Il se souvenait de la longue promenade, au bord de la mer, main dans la main, avec une autre que Nathalie. De cet instant dans sa vie où il avait pris la décision la plus importante de sa vie. La nuit était pleine d’étoiles, ils avaient longuement marché, il entendait encore le bruit des vagues, sentait les grains de sables sur ses orteils, Marie-Josée qui parlait, qui lui disait que ça ne marcherait pas que lui et Nathalie, c’était de ces couples scellés par le destin. « On ne brise pas Guillaume et Nathalie, ça ne se fait pas »

Il ne l’avait avoué à personne,  mais cette nuit-là dans la chambre d’hôpital, quand les yeux de Nathalie s’étaient fermés pour la dernière fois. C’était à Marie-Josée qu’il avait pensé et à cette aventure qui était le seul glissement de vingt-cinq ans avec sa femme, à cette longue promenade et cette nuit dans les vagues, avec le goût de l’eau salée sur les lèvres, à se regarder sans se toucher et au serment qu’ils avaient fait : «Dans la prochaine vie, on sera ensemble. »

Comme si le destin avait décidé qu’il était prêt pour cela, alors qu’il déposait le sac de lait dans son panier, Marie-Josée était apparue, au bout de l’allée. Les années avaient adouci son regard, mais elle avait la même allure, la même démarche et la même lumière l’entourait. 

Elle lui avait dit « J'ai su, pour Nathalie. » puis, après un silence plein de leur malaise, « Toi, ça va? » Il avait répondu comme à tout le monde :
- Ça va, on s’en sort. Toi  ça va bien ta carrière, j’ai vu l’article dans La Presse. Bravo!
- Tes enfants?
- Ils vont bien, ils s’ennuient de Nathalie, mais je les emmène dans le Sud pour la relâche. Ça va nous faire du bien.
Elle avait demandé, sur un ton banal, comme à un ami rencontré par hasard dans le rayon des produits laitiers. « Ah bon, vous allez où? » Il avait répondu «Cozumel » du bout des lèvres, puis il avait baissé les yeux, incapable de lui expliquer que sa vie avec Nathalie n’était pas terminée.

Marie-Josée avait rajouté quelques lieux communs et avait conclu en disant « Au revoir, on s’appelle», avec des yeux qui disaient « Je ne te rappellerai pas. Je n’ai pas oublié ta promesse mais je t’aime assez pour comprendre qu’il faut que tu termines cette vie-ci.  On se verra dans la prochaine. »,

Il l'avait serrée très fort dans ses bras. Puis il était reparti sans se retourner et avait mis un bouquet de brocoli dans le panier, Nathalie en mettait toujours dans ses pâtes, les enfants aimeraient ça.

9 commentaires:

  1. Comme c'est beau, empreint de nostalgie, de tristesse...J'aime la chute de ton texte: les brocolis dans les pâtes. Tes petits détails croustillants qui m'accrochent!

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    1. Merci Michèle, bien c'est par les détails que les gens s'accrochent à la vie....

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  2. J'aime tant te lire. Autant d'émotions dans des textes si courts... j'adore.

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  3. Un jour Marie-Josée reviendra. Nathalie restera, je l'espère, toujours dans son coeur. Je me souviens avoir dit à un être cher,(ce n'est pas celui que tu penses) qui venait de se faire laisser par une femme chérie qui me disait: ¨¨Je ne pourrai jamais l'oublier¨¨. ¨¨J'espère que tu ne l'oublieras jamais,; car ceux que l'on a aimé doivent toujours rester dans nos beaus souvenire.¨¨ Je crois que cela l'avait un peu réconforté. Tout en douceur ton texte qui te ressemble tellement, (pas nécessairement la douceur...)

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    1. Chère anonyme,
      puisque je ne suis pas certaine qui tu es, je n'ai franchement aucune idéee à qui tu penses que je pense (compliqué tout ça...). Entéca, puisque tu me connais assez pour dire que ce texte me ressemble, tu dois me connaître assez pour avoir mon no de téléphone, passe moi un coup de fil, on en jasera. Merci quand même de venir me visiter!

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  4. J'aime comment tu contruis tes récis... Je m'is aventure avec la curiosité d'un chat l'anticipation au coeur je sais que qeulque chose m'attend dans le tournant' j'avance à pas lents en savourant. Et puis boom j'y arrive je ne m'y aatendais pas et tout d'un coup, je suis ou bien triste ou pensive ou encore , un sourire s'accroche pour y rester....
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    Xxxx
    Katia

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