Ce costume qu'elle porte

Cette histoire est la suite de Comme un ruisseau poussé par le courant.

Le ciel avait cette couleur bleu violet des crépuscules d'hiver.  Nicole était assise sans bouger, son visage impassible tourné vers la fenêtre, vers le bout de la rue d'où elle verrait apparaître le long manteau noir et le chapeau de feutre d'Étienne.  Elle l'observerait marcher d'un pas lent, devinant d'avance dans la courbure de son épaule, dans l'angle de son chapeau, que la rencontre avait été aussi vide que les autres puis elle irait s'asseoir sur la causeuse du salon, reprendrait son livre, attendrait qu'Étienne entre, l'air de ne pas attendre.

Elle aussi avait revêtu son costume. Celui qu'elle portait tout le temps. Cette peau qu'on lui vantait souvent pour sa douceur et sa transparence et dont elle prenait un soin jaloux. Cette peau qui cachait son âge, ses chagrins et tout le reste. Cette peau qui était son armure contre l'extérieur mais aussi contre l'intérieur.  Contre cette douleur familière qu'elle portait. À l'intérieur d'elle, une femme hurlait, une femme qui lui était étrangère mais qu'elle connaissait si bien. Elle aurait voulu ouvrir la fenêtre, ouvrir les lèvres et crier jusqu'à ce que sa voix ne soit plus qu'un râle, qu'un cri étouffé. Mais elle savait que si elle ouvrait la bouche, rien ne sortirait. Elle n'avait jamais pu.

Le boeuf bourguignon cuisait, la maison sentait le confort et l'amour. Sur la petite table ronde,  elle avait mis sa nappe à carreaux bleus et jaunes, un petit bouquet qu'elle était allé chercher chez le fleuriste du coin et les ustensiles bien droits de chaque côté des assiettes blanches. Elle attendait Étienne, elle soupait avec son passé.

Étienne était entré, elle lui avait souri, lui avait demandé s'il avait faim et l'avait servi sans attendre la réponse.  Ils avaient parlé du temps qu'il faisait, de l'hiver changeant et si imprévisible. Elle avait posé quelques questions banales en essayant de ne pas avoir l'air de s'intéresser aux réponses:  Est-ce que les cheveux de Maurice étaient plus gris? est-ce qu'il avait demandé des nouvelles d'elle? Est-ce qu'il pourrait l'aider?  Elle savait qu'elle n'aurait que des réponses vagues marmonnées entre deux bouchées de pain mais s'accrochait d'avance aux maigres détails qu'il lui donnerait.

Le repas terminé, Étienne l'avait prise dans ses bras, lui avait "T'es a la plus belle mère du monde, j'ai pas besoin de lui".  Elle l'avait embrassé comme des milliers de fois depuis sa naissance, son Étienne, son fils, et s'était dit qu'il était beau et qu'il était quand même ce qu'elle avait fait de plus merveilleux dans sa vie. Ce soir là, seule dans sa chambre aux murs pervenche, elle prendrait le temps de bien frotter son corps avec l'huile d'amande douce qui sentait si bon.


1 commentaire:

  1. J'aime la fin. Paisible avec cette huile douce, un moment de calme, de plénitude, tout en douceur.

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