Comme un ruisseau poussé par le courant

Cette histoire est la suite de Une brume opaque

Maurice s'était assis sur un banc, malgré la neige et la glace qui le recouvraient et avait pris plusieurs grandes respirations en regardant le parc couvert de neige.  À cette heure, peu de gens étaient dehors, tous à leur travail, dans leurs univers de papiers et d'écrans digitaux.
Il venait de quitter Étienne, une rencontre comme les autres: ils avaient échangé des banalités, ne s'étaient rien dits pendant 45 minutes.  À la fin, il avait sorti de l'argent de son porte-feuille.  Une grosse somme qu'il avait pris de son compte la veille, pour l'occasion.  Ses doigts avaient effleuré ceux d'Étienne pendant quelques secondes, ils s'étaient regardés dans les yeux.   Les mêmes yeux que ceux qu'il voyait le matin en se rasant, bleus avec des paillettes de lumière jaune au travers.

Vingt ans plutôt, Nicole avait promis: "Tu n'entendras plus jamais parler de moi, je ne te demande rien, cet enfant je le veux, c'est le mien. C'est mon choix."  Elle avait tenu parole, il n'avait même pas su quand Étienne était né.  C'est lui qui avait brisé le silence.  Quand Étienne avait eu 3 ans, il avait demandé à le voir, un après-midi d'avril.

Étienne courait, dans un pantalon propre, un t-shirt rouge, posait des questions sur tout ce qu'il voyait en le regardant de ses yeux bleus rieurs. Ça aurait pu être sa vie. Lui, Nicole, Étienne, un samedi au Lac des Castors. Il aurait peut-être dû divorcer.  À cette époque, tout le monde le faisait.  On aurait parlé durant quelques semaines de ce secret qui apparaissait soudainement.   On aurait plaint Hélène, abandonnée pour une autre moins éduquée, moins riche, mais qui offrait un fils, puis les gens auraient oublié, et il aurait pu voir Étienne grandir.  Mais il n'avait rien dit, rien fait.  Ce soir-là, Hélène l'attendait au chalet qu'ils venaient d'acheter dans les Cantons de l'Est; un couple d'amis venait souper.  Il avait promis d'acheter des pâtisseries.  Ils avaient des billets d'avion pour un voyage à Paris en juillet.

Nicole n'avait rien demandé, n'avait effleuré ni cette possibilité, ni sa main qui restait sur son manteau pendant qu'ils marchaient côte à côte.  Sous les arbres couverts de bourgeons, elle lui était parue si forte et si solide.  La maternité avait changé quelque chose à son regard et elle marchait du pas d'une lionne qui protège son petit.

Il l'avait ramenée à sa voiture, l'avait regardée mettre le petit dans son siège, l'attacher, mettre la poussette dans la voiture, toute seule.  Maladroit, il avait demandé :"As-tu besoin d'aide? As-tu besoin d'argent.", elle avait fait non de la tête, il l'avait crue et  l'avait embrassé sur les deux joues en lui disant: "T'es forte, t'es vraiment une bonne mère. Il est chanceux de t'avoir ce petit bonhomme".

Comme un ruisseau poussé par le courant,  il était allé là où la vie le menait, parce que c'était plus facile, parce qu'il ne supportait pas les larmes et qu'Hélène aurait pleuré, mais pas Nicole.  Parce qu'il savait que Nicole survivrait sans lui.  Parce c'était plus simple de continuer son chemin comme si rien n'était arrivé.  Quelques semaines après, il avait envoyé une enveloppe avec de l'argent et une note : "Pour les études d'Étienne. PS: J'aimerais ça le voir, de temps en temps. Si tu veux."

Maurice avait levé les yeux, l'heure du dîner approchait, les gens passaient devant lui, pressés. Il avait regardé sa montre, replacé ses beaux cheveux gris, avait secoué la neige de sur son manteau.  Son Blackberry dans son poche vibrait, annonçait des urgences, il saurait quoi répondre, il pouvait gérer ces crises.  La vie reprenait son cours, pour un autre six mois.

 La suite de cette histoire : Ce costume qu'elle porte

2 commentaires:

  1. ¨¨Toujours moi¨¨5 février 2012 à 14:52

    Maurice continuera à grisonner, sa vie à vivre et les paillettes de lumière jaune vont s'embrouiller de ces larmes qui font si mal quans elles ne sont pas assumées. Il reviendra, pourvu qu'il ne soit pas trop tard!

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  2. Salut! Je tenais à te dire qu'il se joue présentement un jeu de Tag sur la blogosphère et que j'ai réussi à te toucher!!!!
    Viens voir mon blogue pour poursuivre le jeu!!! (Divertissant pour un jeudi soir ou un vendredi non?!)

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