Du vent et des mots

Benoît allait encore l’abandonner; Elle le savait. Il ferait à sa tête, comme à chaque fois qu’il la laissait plantée là avec les 3 enfants pour sortir avec ses chums, pour aller prendre une bière, et une autre et une dernière de trop.

La nuit était tombée depuis longtemps, seule une lueur blafarde éclairait la chambre. Mélanie se disait qu’elle devrait dormir un peu, mais elle ne pouvait pas. Elle ne faisait que ressasser les mots qu’elle avait préparés.


Benoît était sorti en claquant la porte. Elle avait mis les enfants au lit, calmé Simon qui faisait des cauchemars, redonné la suce à Anaïs, servi un dernier verre d’eau à Antoine « Celui-là, c’est le dernier, dernier », puis s’était mis à table. Elle avait pris un vieux cahier de son fils, un crayon de bois qu’elle avait aiguisé dans le petit aiguisoir d’écolier et elle avait écrit. Elle avait écrit pour trouver les mots pour dire sa colère, son sentiment d’injustice, les blessures à l’âme, la fatigue et la honte.

Elle s’était promis que cette fois, elle ne craquerait pas pour ses grands yeux verts, pour son charme et ses belles phrases. Comme les autres fois. Comme chacune des fois où elle avait accepté de lui faire un enfant, et un autre, et un troisième. Comme toute les fois où elle s’était fait accroire qu’ils devaient s’aimer pour toujours, parce qu’elle l’avait aimé à 20 ans. Toute la nuit elle avait fait le tri dans ses mots et ses pensées pour être certaine de choisir les bons quand il reviendrait.

Et puis, elle avait attendu, prête à parler d’elle pour une fois. Prête à dire sa souffrance. Prête à dire que si cette fois il ne restait pas, pour vrai, ce serait elle qui partirait. Prête à lui dire qu’elle n’accepterait pas qu’il recommence à partir, à fumer trop, à boire trop, à l’oublier… à les oublier.

Dehors le vent fou avait soufflé toute la nuit pendant qu’elle écrivait, pendant qu’elle attendait. C’est ce vent qui l’avait poussée, encouragée, soutenue.

Elle espérait qu’il soit raisonnable et comprenne qu’elle était sérieuse, qu'elle n’en pouvait plus, qu’elle voulait qu’il se trouve un emploi stable, qu’il apporte lui aussi à manger sur la table, qu’elle n’en pouvait plus de cette vie de deuxième classe à manger les miettes des autres. Elle s’était dit qu’elle irait peut-être même jusqu’à avouer que parfois, elle se prenait à rêver d’une petite maison avec une balançoire dans la cour et du beurre, du vrai, pour mettre sur leur pain.

Mais Benoît n’allait pas revenir. Elle le savait maintenant. Elle l’avait toujours su au fond, mais n’avait jamais pu l’accepter. Et maintenant dans cette chambre, à ses côtés, avec la faible lueur des appareils, elle n’avait plus le choix d’affronter la réalité.

La réalité là, devant elle. La machine qui faisait bip, bip, le médecin qui avait dit: « Il y a des dispositions à prendre, certains organes sont encore viables», le policier dans la porte de l’appartement qui parlait du feu rouge que Benoît n’avait pas vu, le grand cri qu’elle avait poussé dans la nuit, et le vent, le vent qui n’arrêtait pas de souffler. Elle venait de comprendre que Benoît n’entendrait jamais les mots qu’elle voulait crier et les mots qu’elle ne pourrait jamais dire restaient pris dans sa gorge.

3 commentaires:

  1. Wow, ça cogne dur. Tellement touchant, j'adore. Surtout le détail du vent qui n'arrêtait pas de souffler. Bravo!

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  2. ¨¨Toujours moi¨¨28 mars 2012 à 15:45

    Tous ces mots qui restent pris dans notre gorge, ne devraient jamais être emportés par le vent. Ce vent nous les ramène souvent et nous aide à devenir plus heureux.

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  3. Très troublant... j'aime beaucoup.

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