Le grand saut

L’avion était resté sur le tarmac un bout de temps pendant que Marilou s’installait sur son siège.  Ce n’était pas le siège le plus confortable mais quand même c’était une surface solide sur laquelle s’asseoir et qui lui donnait, temporairement un sentiment de sécurité. Puis les moteurs s'étaient mis en marche et les papillons dans son estomac s'étaient mis à battre des ailes en cadence. Lentement l’appareil s’était avancé sur la piste et elle avait compris que le moment, viendrait, irrémédiablement.

Son cœur avait sauté un battement quand les roues avaient quitté le sol, comme si déjà elle anticipait le vide.  L’instructeur avait expliqué à elle et aux autres ce qui viendrait et avait répété pour la centième fois les étapes à suivre.  Elle avait écouté sagement, en prenant des notes en se disant que ce serait facile, qu’elle en était capable.  Ses compagnons de voyage aussi écoutaient, certains inquiets, d’autres minimisant les risques.  Les plus vieux racontaient leurs expériences passées en en mettant un peu, se voulaient rassurants, en faisaient trop, mélangeaient les rumeurs aux légendes urbaines et à leurs propres peurs.  Mais tous essayant d’éviter la grande question :  « Qui allait devoir sauter? Qui devrait rester dans l’avion pour le mener à bon port. »

Et puis soudainement le silence s’était fait dans la carlingue, et elle avait senti jusque dans ses os le grincement de la porte qu’on ouvrait.  L’instructeur n’avait pas eu à dire un mot, elle avait compris à son regard, qu’elle devrait sauter.  Elle s’était approchée de la porte pour poser les gestes qu’elle avait déjà appris. Une main sur l’aile, l’autre sur la porte, elle avait fermé les yeux pour ne pas voir le vide. Quand il avait dit « c’est l’heure »,  son cœur s’était arrêté. Elle avait pensé durant des jours et des nuits à cette journée et elle se croyait prête à tout, mais elle n’avait pas prévu la vague de sentiments contradictoires qui l'avait envahie. Le sentiment de solitude, suivi de près de celui aussi fort d’être entourée, appuyée par ceux qui restaient derrière et finalement le chagrin intenable de devoir les quitter. Marilou avait souri, leur avait lancé un grand « je vous aime » et avait ouvert grand les bras pour sauter dans le vide.

Pendant une seconde elle avait pensé s'accrocher, tendre les bras vers ceux qui y restaient, mais ce n'était plus possible, elle n'avait que le grand vide devant et cette sensation de chute. Le vent fouettait son visage et les larmes coulaient sur ses joues mais elle avait eu le courage d'ouvrir les yeux pour regarder devant, au delà des nuages.  Là, au loin tout petit et encore indéfinissable, se trouvait l’avenir.  Plus beau, plus grand que ce qu'elle connaissait et surtout rempli de possibilités. Elle  avait eu le souffle coupé par la beauté du paysage et la sensation de chute libre.

Prise entre le chagrin de la perte de ses compagnons de voyage et la peur du vide qui la happait, elle savait que viendrait le moment où elle ouvrirait le parachute et où la descente se ferait plus doucement.  Ce moment où elle aurait le temps de guider sa chute en observant le paysage qui s'approcherait jusqu'à ce qu'elle tombe dans un jardin rempli de fleurs, de joies et de promesses.

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Vous comprendrez que ceci est un plus qu’une histoire inventée.  Ceci est une parabole vous expliquant comment je me sens aujourd’hui.  Je vous avais dit que j’allais passer par une phase difficile. Ça y est c’est fait. Je commence une nouvelle étape de ma vie, qui sera extraordinaire j’en suis convaincue.

 En ce moment je suis triste de ne plus appartenir à un groupe que je respectais énormément et de ne plus diriger une équipe dont j'étais très fière. D’ici à ce que le parachute ouvre, l’impression de vide est suffocante, le chagrin lié au deuil est douloureux, mais je sais qu’au bout du compte, c’est le début d’un temps nouveau, je sais que la vie peut m'offrir encore plus et que je mérite mieux.

11 commentaires:

  1. Ma belle Sophie, saute, saute, y'a plein de monde en bas qui t'attendent pour t'attraper, personne te laissera tomber! Moi même morte de trouille aussi à l'idée de sauter, m^mee si on saute pas du même modèle d'avion je me dis que y'a rien comme le faire pour avoir enfin l'impression de voler... :)

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    1. Lorsque je vis des moments aussi intenses j'aime relire l'alchimiste de Paulo Coelho pour me rappeler qu' il faut parfois braver de nombreux dangers et affronter plusieurs épreuves pour finalement trouver son trésor... En ce moment, saches que tout l'univers conspire à te faire parvenir quelque part ou tu te dois d’être sans même savoir encore où tout ça te mènera...

      Si c'est l'inconnu qui fait peur, c'est assurément de se sentir enfin à bon port qui nous ramène au bonheur et nous aide à renaitre :-) Le cheminement que l’on dois faire entre les deux est l’essence même de ce qui nous rend plus fort.

      Je suis de tout cœur avec toi Sophie! Xxxxxx

      Mélissa

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  2. Pour ceux qui sont restés dans l'avion, Sophie, c'est dur aussi. Dur de vous voir partir, peur pour vous. Mais aussi, et tu le sais, une certaine envie, pour ne pas dire une envie certaine pour ce grand vertige qui ne peut qu'avoir du bon. L'avenir dira qui, de toi ou moi, aura eu la meilleure part.
    Ouvre ton parachute grand, ma belle Sophie. Pour l'instant, mes larmes à moi m'empêche de voir l'horizon, mais je suis tellement fière de toi, et fière d'être un peu ton amie.

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  3. C'est tellement beau! J'adore! Bonne chance pour la suite :)

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  4. Ton texte est génial, encore une fois... Je repense à une citation qui m'a beaucoup inspirée et qui m'inspire encore: "Most of us have two lives. The life we live, and the unlived life within us." (Steven Pressfield). Tu as maintenant la vie devant toi, la chance de vivre cette deuxième vie, celle qu'on rêve d'avoir mais pour laquelle on n'a pas toujours le courage...

    Tu réaliseras tes rêves, j'en suis certaine!!!

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    1. Merci Nathalie,
      J'aime beaucoup cette phrase que j'avais lue sur ton blogue, et je pense d'ailleurs que je vais l'écrire et l'afficher bien en vue pour les prochaines semaines.

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  5. J'adore!
    Je te lisais et j'avais les frisons car je réfléchis trop avant de prendre des décisions... Trop peur j'imagine. Mais pourtant, si j'ose sauter, peut-être que le sol est plus près que je ne le pense, ou que mon parachute va me retenir et me soutenir...
    Chapeau pour ton saut! :-)
    Tu as toute mon admiration!

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    1. La Belle, ce n'est pas moi qui ai décidé de sauter. Mon emploi a été coupé. Toute seule j'aurais probablement eu trop peur, mais une fois qu'on m'a forcée à sauter, je m'aperçois que la vue est magnifique.

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    2. Faire un saut suite à une décision de l'extérieur et trouver la vue si magnifique, c'est merveilleux!

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  6. Je lis et relis ton texte Sophie, si inspirant....! Ça m'aide à passer du sentiment d'impuissance à l'espoir... Merci! Et porte-toi bien.
    Caroline

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