Les vrais hommes ne pleurent pas

Maxime était sorti du chalet en courant, sans mettre de chapeau ni prendre de gants, avec juste une envie de fuir, de s’évader. Pour oublier ces quelques mots, sous une photo sur Facebook. « Stie que t’as l’air fif». Ces mots qui venaient le frapper comme un coup de poing au ventre, comme à chaque fois qu’il entendait ces mots homo, fif, moumoune, tapette.


Il devinait que l’attirance et le besoin d’être près des garçons, faisait de lui quelqu’un de différent. Mais est-ce que ça voulait aussi dire que ça faisait de lui un faible? Un peureux? Est-ce que fif ça voulait aussi dire pas fort, efféminé, pas courageux?  Sa mère disait tout le temps : « T’es plus fort qu’eux, occupe toi pas de ce qu’ils disent. » Il essayait, d’être fort. Il avait toujours voulu être un homme, être fort, et ne pas pleurer non plus, comme un homme.

Arrivé à son but, il avait ralenti sa course, essuyé les larmes qui avaient coulé de ses yeux, à cause du vent et de la trop longue course. Le ciel était d’un bleu étincelant et le soleil brillait pendant que les battements de son cœur s’estompaient. Il aimait le calme qu’il retrouvait chaque fois qu’il venait au lac. Il avait déposé la caisse en plastique et s’y était assis.  Seul au milieu de nulle part, il avait besoin de se prouver quelque chose.

Ça voulait dire quoi être un « fif »? Est-ce que ça faisait de lui moins qu’un homme? Ses amis, en nommant à sa place ce qu’il comprenait à peine à 15 ans, l’obligeaient à se définir trop vite alors qu'il était à peine sorti de l'enfance.  Et la question le hantait: Est-ce que préférer les garçons aux filles faisait de lui autre chose qu’un homme?

Au loin, près du chalet, son père le cherchait pour pelleter l'entrée couverte de neige. Il savait qu'il ne regarderait pas tout de suite dans sa direction. Depuis qu’il était petit, il savait qu’il ne fallait pas s’aventurer sur le lac au printemps, il ne penserait pas à le chercher dans cette direction.

Il respirait lentement, se demandant combien de temps il fallait rester ainsi nu-tête sous le vent froid de l’hiver, pour être fort, pour être un toffe. Les arbres autour du lac étaient magnifiques, les érables laissaient passer la lumière entre leurs branches nues, les sapins saupoudraient leur fardeau blanc à chaque rafale. Il était venu ici des centaines de fois pêcher la truite, faire rebondir des pierres sur l’eau ou ramasser du bois pour faire un feu sur la grève.

Son père avait finalement vu la petite tache bleue au milieu du lac et avait mis quelques secondes avant de comprendre.  Puis, sa voix avait brisé le silence:  « Maxime!» puis s’était mis à courir dans sa direction comprenant le danger auquel son fils s'exposait.

Au son de la voix de son père, Maxime s’était levé de la caisse, qui avait glissé sur la glace. C’est ce mouvement brusque qui avait provoqué le grondement sous ses pieds et la fissure qu’il avait vue venir vers lui.Son cœur s’était arrêté de battre, complètement, pendant plusieurs secondes. Il avait senti la sensation dans son ventre, puissante, animale. La peur. La seule vraie, la peur de mourir. Au milieu du lac gelé, il s’était imaginé la sensation d’être engouffré dans l’eau glacée et de s’endormir à jamais et soudain, l’épreuve qu’il s’était imposée lui avait parue puérile et idiote. Au loin, son père courait vers le lac comme un fou hurlant son nom, comme jamais il ne l’avait fait.

Maxime avait senti une décharge dans tout son corps, puis le calme qui l’avait envahi. La peur s’était transformée en une force qui avait guidé chacun des gestes qu’il avait appris enfant et qu’il répétait aujourd’hui. Il s’était accroupi, lentement, s’était couché sur la glace et s’était mis à ramper délicatement vers la berge, vers la vie. Son esprit était vide, les mots qui faisaient mal étaient disparus, il n’avait qu’une seule certitude : il voulait vivre.

Quand il avait été suffisamment près de lui, son père avait tendu les bras, l’avait ramené sur la terre ferme, avait serré son fils en le traitant d’idiot et avait éclaté en sanglots en embrassant ses cheveux mouillés par la neige.

1 commentaire:

  1. Ça y est, je pleure encore! Enfin, il a le modèle qu'un homme peut pleurer!

    En plus, c'est le plan de suicide d'un jeune que j'ai rencontré... triste hasard!

    RépondreSupprimer