Il avait besoin de voir du beau

Yves ne pouvait quitter la toile des yeux. Un grand rectangle de rouge, de rose avec ici et là, des éclairs dorés qui s’offraient à ses yeux et qui venaient le chercher jusqu’au fond de son âme. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi ces grands coups de pinceaux venaient chercher quelque chose en lui de grand et de fort, de beau et de sacré. Un rouge carmin entouré de gouttelettes d’émotions qui semblait vouloir l’atteindre, le toucher, comme si la lumière venait caresser ses douleurs même les plus vieilles, même celles qu’il avait oubliées, même celles qu’il n’osait s’avouer. Il ouvrait les yeux et laissait entrer le beau, jusqu’à son âme et savourait l’apaisement qu’il en ressentait.

Près de la porte Éliane l’attendait. Elle était magnifique, parfaite. De ses ongles manucurés à ses longues jambes que laissait voir sa minijupe, Éliane était le genre de femme qui faisait tourner les têtes dans la rue. Avec ses bijoux, élégants, sans être ostentatoires, ses vêtements griffés, son corps parfait, elle provoquait le désir des hommes et la jalousie des femmes.
- Eliane, viens voir.
- Je vois d’ici.
- Viens plus près. Regarde bien. Sens-tu l’émotion?
- Non, je vois rien.
- Cherche pas. Fais juste regarder, laisse entrer la couleur.
- J’te dis que vois rien. On s’en va-tu? Daniel et Julie nous attendent au resto.
- Prends 2 minutes, regarde la toile, laisse-la entrer l’image dans ton cœur. Laisse-la entrer, dans ton ventre et monter lentement vers ta poitrine.
- J’vois rien. On dirait un « barbeau » d’enfant. On y-va-tu? Ça fait dix minutes que tu regardes cette image, j’suis tannée.
Il s’était retourné et l’avait regardée, comme s’il la voyait pour la première fois:
- On a le temps, Éliane. Regarde. C’est beau. Je te le dis, prends le temps de bien regarder. La beauté, c’est le seul bonheur gratuit, viens, viens voir. La beauté c’est la meilleure armure pour l’âme.
Elle s’était approché, pour lui faire plaisir. Et avait regardé la toile un moment, et avait dit ce qu'il voulait entendre:
- Bon, c'est correct, j'la regarde.  C’est beau, t’as raison. Es-tu content, là? On y va.
En quittant la galerie, il avait jeté un dernier coup d’œil à la toile, pour la garder en lui et la porter durant les prochains jours. La soirée avec Éliane s'était terminée sans incident, mais une petite fissure s’était ouverte dans son cœur, de ses brèches qui grandissent jusqu’à la rupture permanente.

Il y avait deux sortes de beautés. Celle qui fait du bien à l’âme et celle qui emballée dans une pellicule plastique. Il venait de comprendre qu’il y avait aussi deux façon d’empêcher son âme de voler en éclats quand la vie faisait mal: en lui donnant des ailes pour voler ou en l’étouffant jusqu'à ce qu'elle s'atrophie et meure. Il savait qu'il devrait faire un choix et la beauté d’Éliane n’en ferait probablement pas partie.

3 commentaires:

  1. Mon dieu que j'aime ce simple billet qui vient de me faire l'effet le même effet que le tableau pour Yves...Droit au coeur!! Une simple histoire? Han han!
    Tu as re-écrit l'adage qui dit: "on ne voit bien qu'avec les yeux du coeur"
    Je le ferai lire à mon ado. Il aimera
    <3
    Katia

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  2. ¨¨Toujours moi¨¨9 avril 2012 à 10:35

    C'est ce qui rapproche tant deux coeurs; voir ensemble la même beauté. C'est pour cela que je suis si heureuse.

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  3. Salut Quelquepart, je viens de lire ton billet Le grand saut. Je te trouve chanceuse en un certain sens. Chanceuse d'avoir tout devant toi, de sortir des sentiers battus, d'avoir la possibilité d'entamer autre chose.

    Parfois, on est bien dans nos pantoufles, la sécurité, la routine, le connu, l'habitude. Mais j'ai l'impression qu'un jour, je devrai sauter moi aussi. Pas parce qu'on m'obligera,mais parce que j'aurai besoin de plus, ou de quelque chose de différent. D'être moi ailleurs.

    Bon courage, bonne chance, bonne suite.

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