On ne peut tout prévoir

Nadia était assise à ma gauche dans le train bondé. L’air était humide, à couper au couteau, on sentait l’orage qui allait tomber d’un moment à l’autre. Elle portait une veste blanche démodée et trop serrée et des sandales avec des attaches en velcro, de celles que plus personne ne porte. À elle seule, elle prenait les deux tiers de la banquette et j’essayais tant bien que mal de rester sur ma portion du siège.

Par la fenêtre, on voyait comme une brume dans l’air, comme si la vue était brouillée par l’eau qui flottait dans l’air. Elle avait soupiré. Un long et profond soupir qui laissait deviner des rêves inachevés. Elle savait que la pluie viendrait. Nous l’attendions tous, c’était clair qu’il tomberait sous peu une averse dont on parlerait longtemps.

Nadia songeait à la pluie qui viendrait.  Elle rêvait de sortir du train et de se faire prendre par la pluie, et de courir comme lorsqu’elle était enfant, les pieds dans l’eau et les cheveux qui lui collaient au visage. Mais elle n’oserait pas. Que penseraient les gens? Une grosse sous l'eau, c'est ridicule. On la trouverait pathétique.

Courir sous la pluie en chantant, c’était charmant pour les jeunes maigres, pas pour les petites grosses. Elle aurait pu essayer le coup de la grosse ricaneuse et se mettre à rire fort comme si c'était une bonne blague. Une grosse qui rit, on lui pardonne tout, mais ce n’était pas son genre. Elle, malheureusement, avait choisi d'être grosse et raisonnable.

Ah! si au moins elle avait 75 livres en moins, elle pourrait être heureuse.

Quand le train était arrivé à destination, l’averse attendue tombait déjà. Pour sortir du train, les gens devaient traverser bravement un rideau de pluie et puis courir en se protégeant à qui mieux, mieux avec un journal, un chapeau, un sac, un parapluie.

Elle avait regardé dans son sac; elle avait toujours un parapluie. Elle détestait plus que tout se retrouver au dépourvu et tentait de prévoir le plus possible, mais il semblait que cette fois-ci elle avait oublié de le mettredans son sac. Merde.

Elle devrait sortir et se faire mouiller. Elle en avait envie, mais ne le voulait pas. Puis, quelqu’un l’avait poussée, elle s’était lancée pour affronter la rage du ciel. Sur le quai, elle était restée ébahie, l’eau qui lui tombait dessus était douce et chaude, comme une caresse, comme un pardon.

Autour d’elle les gens couraient aux abris; elle, s’était éloignée doucement. Ses sandales faisaient flouch flouch, sa veste blanche était détrempée. En passant à côté, je l’ai entendu qui fredonnait « Singing in the rain ».

5 commentaires:

  1. ¨¨Toujours moi¨¨31 mai 2012 à 09:34

    J'aime beaucoup; je ne sais pas trop pourquoi, mais j'aime beaucoup. XXX

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  2. Tu t'es surpassée dans cette histoire, Sophie... Merci.

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  3. @Nathalie @Toujours moi, j'avais envie de revenir aux histoires que je faisais au début. Raconter peu, laisser le lecteur deviner le reste. Hier en pesant sur le bouton "publier" je craignais d'avoir une histoire trop simple. Vos messages me rassurent. Merci!

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  4. Question de poids, je me suis retrouvée un peu dans cette femme...pas pour le surplus de poids qu'elle semble avoir, mais pour le fait qu'elle se soucie un peu trop de ce que les autres vont penser d'elle...ça, c'est aussi un poids dont j'aimerais me départir totalement!!...

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    1. Michèle, en effet, on porte tous un peu le poids du regard des autres, parfois physiquement, parfois mentalement. Il arrive heureusement, que la pluie, nous oblige à confronter nos peurs.

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