On verra

Tomber enceinte à 42 ans, quand on croit qu’on n’aura jamais d’enfants, même si on est seule, même si on sait que le géniteur se sauvera en courant en apprenant la nouvelle, ce n’est pas une catastrophe, c’est un cadeau de la vie. Michelle se rappelait clairement le jour où elle avait su qu’elle attendait Antoine

Sa sœur Carole lui avait fait un long sermon : « Ça a pas de bon sens. Tu vas pas le garder, Qu’est-ce que tu vas faire toute seule? On ne donne pas naissance à un enfant comme on prend un amant Ça se fait pas ces choses-là ». Pour une fois, Michelle n’avait pas écouté les conseils de sa cadette. Elle était convaincue qu'elle avait senti un grand coup de pied de la crevette qui flottait dans son ventre et elle avait simplement répondu : « On verra ».

Elle avait élevé son fils un peu n’importe comment, se souciant surtout de l’aimer. Pendant des années elle avait vécu dans un appartement avec un flot incessant d'amoureux et de locataires venus des quatre coin du monde qui faisaient de la musique et cuisinaient des plats parfumés.  Puis un jour, elle avait acheté une petite maison; un cerisier poussait dans le jardin et elle avait rêvé d’y adosser une échelle pour monter cueillir les fruits avec Antoine en riant.

Carole au contraire,  avait eu une vie parfaite. Son horaire et sa carrière étaient réglés au quart de tour, sa maison décorée comme dans un magazine, ses cheveux toujours bien coiffés.  Elle avec des règles et des principes pour chacun des moments de sa vie et s’assurait que ses 2 enfants et son mari médecin les suivent à la lettre.

Chaque fois que les deux sœurs se voyaient, Michelle en repartait en se disant qu’elle aussi devrait mieux structurer la vie de son fils, lui donner des règles, des « valeurs » comme disait Carole. Elle prenait des résolutions qu’elle ne tenait pas, mais les phrases de sa sœur venaient la hanter quand elle se réveillait la nuit en sueur, se demandant si elle était une bonne mère.
« Tu laisses le chat monter dans le lit du bébé? Va falloir que tu fasses tuer ça cet animal-là, il pourrait étouffer le p’tit. Moi, je laissais même pas de toutous dans le lit des miens »

« Du beurre d’arachide à 18 mois, ton médecin t’a pas dit qu’il fallait attendre à 2 ans, il pourrait développer des allergies. En tout cas, moi j’aurais jamais osé faire ça avec les miens »

« Ouin, mon Antoine, on dirait que c’est toi qui choisis ton linge. Des shorts verts avec un t-shirt rouge, c’est une drôle de combinaison de couleurs, tu devrais demander à ta mère de te changer, tu vas pas sortir en public comme ça, hein. »

« Viens Antoine, viens voir matante, tu peux pas aller comme ça tout nu dans la piscine, regarde tes cousins, ils portent toujours un maillot et des flotteurs quand ils vont se baigner »
En faisant mon jogging il y a quelques jours, j’ai croisé Michelle avec son fils Antoine. C’était maintenant un grand gaillard de 15 ans avec des cheveux bouclés un peu trop longs et de magnifique yeux noirs, brillant d’intelligence.

 Elle venait de fermer son cellulaire. Carole en larmes, lui avait avoué que Louis, son mari l’avait surprise avec le professeur de tennis des enfants avec qui elle avait une aventure depuis 5 ans.  Louis demandait le divorce et la garde des enfants. Michelle avait dit « Hon, pauvre toi.» puis avait raccroché en souriant.

Quand je suis passée près d’elle, je l’ai entendue qui disait à son fils :
- Qu’est-ce que tu dirais d’une pizza au resto? Me semble que je suis d’humeur festive ce soir.

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