Une maison de verre (2)

Ce texte est la suite de Une maison de verre (1)

C'était toujours la même chose. La conversation commençait normalement, avec des propos courtois. Martine tissait sa toile,  Suzie se laissait enjôler, jusqu’à y être prise.

- Tu diras à Luc de pas mettre de bacon cette fois-là, tsé, ton père avec son cholestérol, en fait ça serait mieux pour tout le  monde si y avait pas des bouchées trop grasses. Ça ne fera de tort à personne de perdre quelques livres. Hein?
 - Ah! ah!  T'as raison. Moi aussi,  j'ai pris quelques livres,
-  Je suis sûre que Luc t'aime comme tu es, mais lui il a maigri.  Il est pas malade j'espère.
- Non, il va bien, mais c'est vrai qu'il est occupé depuis l'ouverture du resto. Il tombe de sommeil quand il arrive le soir.
Elle ne percevait jamais le fiel quand Martine plantait ses dents dans son cou pour le déverser.  Comme une veuve noire,  elle laissait couler le poison lentement et avec habileté. Juste assez peu, pour qu’on ne s’en aperçoive pas sur le moment, pour qu’on ne puisse réagir, mais assez pour qu’une fois le téléphone raccroché, la blessure apparaisse et grandisse pendant plusieurs jours. 
- C'est sûr qu'avec de jeunes enfants, vous devez pas faire l'amour souvent, mais c'est la rançon de la gloire non?  
-  Ben oui, c'est les choix qu'on a fait.
-  Ça lui va bien à Luc par exemple. Ça doit aussi être important qu'il paraisse bien, ça doit être bon pour les affaires comme tu dis.  Je l'ai vu l'autre jour en passant devant le restaurant. Ben, avec la petite Mackenzie, justement.  
- Ah oui.  Elle est hôtesse?
 - Ah tu savais pas? Ben oui,  il était avec elle à l'entrée à souhaiter la bienvenue au clients. Beaux comme ils étaient ensemble, ça doit être vraiment bon pour les affaires.
Suzie sentait engourdie par le poison entrer et ne pouvait contre attaquer, même si elle avait les munitions et savait que qu’elle aurait pu simplement répondre :
-Tsé Martine, c’est pas parce que toi tu trompes ton mari sous ses yeux que tout le monde le fait. Je le sais que tu trompes mon frère.  Quand on habite une maison en verre, on ne lance pas de cailloux.
Bien sûr, elle ne l'avait pas fait. Elle ne savait pas attaquer, n'avait jamais su. Elle pensait aux autres, aux conséquences désastreuses d'un guerre ouverte entre elle et sa belle-soeur. Son frère adorait, que dire, idolâtrait sa femme. Il trouvait mignon ces attaques, n'y voyant qu'une frivolité amusante et ne voyait pas le mal qu’elle faisait
- Louis, lâche ta sœur, arrêtez de vous chicaner, ou bien on retourne à la maison. Emma, je veux plus que niaise ton frère, vous savez ben que j’hais ça quand vous ostinez comme ça.
Le ton de voix était aigu, avec une note discordante, trop haute.  Suzie savait qu'elle faisait payer les enfants injustement.   Mais il y avait cette colère en elle, un mélange entre une envie de frapper et de se mettre à courir qu'elle aurait voulu faire sortir.  À la place, elle restait assise sagement, bouillant à l'intérieur.

Elle aurait voulu se libérer de cette colère sans faire ce qu’elle reprochait justement. Qu’est-ce qui la retenait. Les restes d’une éducation catholique, l’impression que la vengeance ne servait à rien. Est-ce que le fait de ne pas répliquer faisait d’elle une mauviette? Ça aurait donné quoi, que son frère réalise à quel point sa femme était une bitch. À elle rien. 

Mais le fiel faisait son effet et le doute, le doute malsain s’installait graduellement. C’était toujours comme ça avec Martine, quinze minutes au téléphone et elle devenait mesquine, petite, une moins belle version d’elle-même.  Elle avait pris son cellulaire et avait appelé.  Assise près d'elle me séchant de ma baignade, j'avais entendu la conversation:

- Allo, c'est moi.
-...
- Non j'appelle juste pour savoir comment tu vas.
- …
- Tu m’avais pas dit qu’Anais Mackenzie travaillait au restaurant
- ...
- Ben, non je te checke pas, mais me semble que t'aurais pu m'en parler. Mais bon, moi je suis juste bonne à élever tes enfants.
-.... 
 - Scuse, moi je l’sais que t’es dans le rush. On se reparlera à la maison


Et le fiel insidieusement, faisait son travail.






2 commentaires:

  1. pfff...Ça fait mal et, même si c'est la réalité parfois, c'est dur... Tu écris si bien, je me laisse toujours prendre cœur et âme dans tes fenêtres sur la vie...

    Au plaisir de te lire

    France

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