Le cahier bleu (11) - Ni la mer ni la forêt, un peu des deux

Ceci est la suite deLe cahier bleu (10) - Enfin arrivée

Gaspé,  21 août

Trois jours sans écrire. Trois jours sans t'écrire.  Trois jours sans raconter mes journées en t'imaginant à mes côtés.

Ce n'est pas qu'il ne se passe rien d'important.  Oh, non! Au dedans ça bouge, ça roule, ça tourne. Mes journées sont rondes et pleines.  Mais je n'ai plus envie de te les raconter.  Comme si, je risquais de leur enlever de la valeur en te les décrivant.  Comment veux-tu que je te parle de ce ciel qui change d’heure en heure de cette eau qui varie selon, les marées, le vent, la couleur du ciel et de cette brume qui apparait quand on s’y attend le moins,  qui est tantôt lourde comme un manteau d’hiver, tantôt légère et fugace comme un châle de dentelle?  Comment veux-tu que je te parle de ça, alors que tu n'es pas avec moi, que tu ne l'as jamais été.


Avant, je vivais chaque instant de ma vie où tu n'étais pas avec moi, chaque instant de beauté surtout,  dans l'attente du moment où je pourrais te les raconter.  Je croyais naïvement que ça te rapprocherais de moi et me donnerais l'impression de ne pas avoir été si seule.   Ça m'a pris des années pour comprendre qu'à chaque fois, les lieux et les objets, palissaient  lorsque je te les dépeignait.  Tu me disais, "Wow, ça devait être beau. Dommage que je n'ai pas pu y être. Mais tu comprends, le petit était malade" ou "Je suis sûre que t'as eu du fun, t'es tellement bonne pour profiter de la vie.  On ira ensemble l'an prochain.  Je vais essayer de me libérer", et de pâles,  les images devenaient transparentes sous la culpabilité qui naissait en moi, d'avoir osé te reprocher de ne pas être venu.  Ce que tu avais à faire à Québec, avec ta femme et tes enfants, semblait toujours plus important que mes futilités.

Je t'ai dit "Je choisis à ta place, puisque tu n'as jamais pu le faire.  C'est elle qui gagne, je sors de ta vie." Je t'ai fait croire que je voulais ton bonheur, mais je ne t'ai pas dit que je l'ai fait surtout parce que j'ai compris que je valais plus que cette attente, que cette vie en antichambre.  Maintenant,  je garde mes moments de bonheur pour moi, égoïstement, et mon âme s'en remplit à rabord.

Depuis trois jours, je n'écris pas, mais j’ai vécu beaucoup.  J'ai passé des heures au bord de l’eau, à regarder Marilou courir après les oiseaux de plage et à contempler les vagues aller et venir.  J'ai passé des journées entières à sentir le vent et mes émotions s’agiter dans tous les sens sans jamais se poser assez longtemps pour que je puisse les décrire, mais en sachant malgré tout que les changements qu'ils amèneraient seraient profonds.


Je comprends aujourd'hui, que suis comme ces paysages entre mer et forêt.  Et ça, toi tu ne l'as jamais compris.  Tu craignais et désirais mon côté sauvage comme la mer, mais tu n'as jamais vu en moi, la force de ces grands pins odorants qui regardent le ciel et la mer emmitouflés dans la brume opaque.  À force de vouloir te plaire, je n'étais plus libre.  À force de me voir dans tes yeux, j'avais oublié que j'étais forte et calme.

Depuis trois jours, je suis celle que tu ne connais pas. Une Véronique complexe peut-être mais,  tellement, tellement plus complète que celle que tu aurais voulu que je sois.

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