Le cahier bleu (13) - Se jeter dans le vide

Ceci est la suite de Le cahier bleu (12)

Gaspé, le 23 août, 22h00
Une magnifique journée que je termine, le coeur barbouillé d'émotions.  Je reviens de visiter le Parc Forillon, et puisque ça t'intéresse probablement, mon Frédéric, oui, j'étais avec Louis Charles, le peintre que j'ai rencontré hier, à l'Anse au Griffon.

Toute une journée à se balader entre mer et forêt, à s’asseoir au bord de l’eau et écouter les galets qui s'entrechoquent à chaque mouvement des vagues, à voir des papillons voleter au milieu de fleurs des champs violettes, jaunes ou blanches. Des heures à observer le ciel et la mer, à se demander si ce point plus brillant sur l’eau était un phoque ou simplement une roche déshabillée par la marée,  si cette tache entre les nuages était un aigle ou une mouette.

Au détour du chemin, je me suis arrêtée pour contempler une paruline jaune sur un arbre près du chemin et me suis sentie observée. Devant moi, un ours noir se vautrait dans les mûres sauvages. Nous nous sommes regardés un moment,  les yeux dans les yeux, puis, la bête a hoché la tête et m’a fait un clin d’œil, l’air de dire : « Ça va ma belle, tu t’en sors. N'aie pas peur, ».  Je lui ai rendu son sourire, puis me suis éloignée doucement pour rejoindre mon guide pour la journée.

En haut de la falaise, Louis-Charles m'attendait, assis sur un banc.  Il a pris ma main dans la sienne et de l’autre a pointé vers la mer « Regarde. C’est ici que je viens m’asseoir quand je m’ennuie de la ville ».  Devant moi, s’offrait un spectacle incroyable. De magnifiques oiseaux, d’une blancheur éclatante,  le cou et la tête orangé et la pointe des ailes noire.  Des Fous de Bassan!! Moi qui croyais qu’ils ne se trouvaient qu’à l’Ile Bonaventure.  Louis-Charles a offert: «On ira les voir là-bas, si tu veux, c’est là que sont leurs nids.  Ici, ils viennent nous séduire.»

Ils étaient une dizaine, peut-être un peu moins, à voler avec leurs grandes ailes ouvertes et se laisser flotter dans le courant d’air. De temps à autres, l’un d’entre eux, se laissait tomber en piqué vers l’eau,  atteignant des vitesses vertigineuses, avant de frapper l'eau avec toute la force de son poids.

Autant l'oiseau semblait en contrôle, de façon si gracieuse et si légère, lorsqu'il volait, autant il semblait laisser sa vie entre les mains d'une force supérieure chaque fois qu'il se laissait tomber dans le vide avec ce qui paraissait être une foi inébranlable.  À chaque fois, malgré la force du choc, l'oiseau ressortait intact secouait ses ailes et avalait le poisson qu’il venait de pêcher ou, reprenait simplement  son envol quand il revenait bredouille.  À chaque fois que j'entendais le bruit de l'impact sur l'eau, comme un sac de pierres qu’on aurait jeté à l'eau du haut d'un précipice, je sursautais et sentais des frissons dans mon dos.  Nous sommes restés au moins une heure à regarder ce magnifique ballet en nous tenant par la main, sans prononcer une parole.

Sur le chemin du retour, le ciel était bourré d’émotions contradictoires, de nuages roses, de nuages bleus avec d’une brume qui avait envie de se lever et venir étouffer la nuit de son silence.

Ce soir, j'ai allumée une bougie, Marilou est venue s'étendre sur mes pieds, je n'ai pas envie de dormir.  Par la fenêtre, je regarde la lune qui se reflète sur l'eau qu'aucune vague ne vient troubler et je me remplis de cet instant.



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