Le cahier bleu (15) - Les Fous de Bassan


Ceci est la suite du Cahier bleu (14) - Présences

Samedi le 25 août.

Aujourd’hui j’ai appris quelques chose: les Fous de Bassan, c’est comme la rose du Petit Prince, quand il y en une seule, elle devient unique, quand elles sont des milliers, ils sont comme n'importe quel autre oiseau.

Avant même de les voir, je les ai entendus. Comme le claquement de milliers de machines qui grincent, d’appareils de radio qui changent de fréquence sans jamais trouver de poste, comme une foule enragée qui piétine. Un bruit qui montait et qui venait me troubler de plus en plus à mesure que je m’approchais. Puis, j'ai senti l’odeur.  Une odeur puissante de poulailler mal entretenu, et, pour aller avec, de mouches.  Des milliers de mouches plus petites que celles qu'on retrouve chez mais qui se trouvaient partout, sur moi, sur les affiches, sur les caméras des visiteurs, partout.


Puis, finalement, j'ai vus les oiseaux. Ils étaient là par milliers, comme des flocons de neige sur un sol d’automne. Chacun occupant un espace défini, chacun défendant à grands cris cette petite bosse sur le sol de terre qui lui servait de nid.  Louis Charles m’a expliqué que, contrairement à la croyance populaire, l’oiseau n’est pas fidèle à son partenaire, il est fidèle à son nid parce qu’il y reconnait sa propre odeur. Les circonstances de la vie, font donc qu’un mâle et une femelle sont attachés au même nid et à son odeur. Ils viennent tous les ans, d’avril à novembre faire leurs petits et protéger cet espace qui porte leur odeur, ce nid qu’il leur est si cher. Le vol en piqué sur les côtes du Parc Forillon, ce sont leurs week-end de vacances, leurs 5 à 7 arrosé, leur partie de jambes en l'air en voyage d'affaires.

Je suis resté longtemps, malgré l’odeur insupportable, hypnotisée, à observer le comportement de ces familles.  Ils étaient des milliers à se donner des coups de bec, à se menacer, à pousser, à protéger leurs nids et nourrir leurs petits si laids avec leur duvet gris.  Visiblement, certains de ces combats se terminaient mal, à juger,  par les cadavres d’individus jeunes et vieux, visiblement tombés victimes de ce mode de vie en groupe qui servaient de  terrain de jeux des mouches.





Parfois, en portant attention, entre les coups de becs et les menaces, j’arrivais à identifier deux propriétaires du même nid, en les voyant se frotter le cou, seul geste gracieux dans ce capharnaüm. Dans quelques semaines, ces deux amoureux, expulseront leur petit jugé assez grand pour faire sa vie. C’est avec la même vigueur avec laquelle ils ont protégé le nid, qu’ils pousseront leur rejeton dans le vide où la sélection naturelle déterminera s’il pourra voler gracieusement ou échouer au pied de la falaise et servir de pâture aux autres espèces qui y nichent dans l’espoir de se nourrir de cadavres de bébés fous qui tombent du ciel

Je serais restée là des heures, si on ne m’avait pas soustrait à ce spectacle désolant. Louis Charles a déposé un délicat baiser dans mon cou et m'a dit « Moi je suis sûr que c'est cette vie-là qui les rends  " Fous" de Bassan. C'est cher, le prix qu'ils doivent payer pour se reproduire, non? Viens-t’en, oublie-les. Je te ramène à Gaspé, je te fais à souper. Me semble qu’il serait temps que tu me montres ton nid.»

J'écris ces lignes rapidement, pendant qu'il est parti faire des courses pour me préparer un repas digne de cette Gaspésie qu'il aime tant. J'ai allumé quelques bougies. Espérons que l'odeur de mon chez-moi lui plaise.

La suite sur Le cahier bleu (16) - L'odeur de la mer

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