Une feuille qui tombe.


Une feuille était tombée sur son épaule.  Diane l'avait repoussée délicatement.  C’était une des ces journées d’automne où le temps doux fait son dernier salut, comme un dernier rappel parce que le public en redemande, après les vacances et bien longtemps après l'été. Dehors, elle était restée seule un moment, à ramasser les feuilles, à ressasser sa vie,  à se dire qu’elle avait été heureuse, malgré les feuilles qu’il fallait toujours ramasser.

Mais la vie n’était-elle pas ainsi faite, un cycle de vie.  Le printemps, l’été, l’automne.  Après la vie venait la mort.  « Fuck! que c’était merdique ces grandes phrases vides. »  Le râteau donnait un grand coup dans les feuilles qui allaient valser un peu partout dans la cours.  Parce qu’au fond, pourquoi se faire chier à les ramasser? « Des grandes théories merdiques, surement inventées par des imbéciles qui n’ont jamais eu la mort à 6 pouces du nez. »

Sa valise l’attendait.  Près de la porte. Louise l’amènerait vers 15hres.  Elle avait insisté pour aller dehors dans la cour de leur maison,  seule un moment, pour une dernière fois, pour pouvoir faire quelque chose d’utile avant de partir.  Pour la première fois de sa vie elle se sentait impuissante devant l’épreuve qui l’attendait.

La maladie des autres, les échecs amoureux, son divorce avec Paul.  Son choix qui avait tellement choqué, d’aller vivre avec une femme.  Parce que, elle ne l’avait compris que très tard, c’était  avec une femme qu’elle allait être heureuse.  Elle avait pris toutes les épreuves à bras le corps, fonçant tête baissée, sans crainte.

Elle avait connu le bonheur. Celui d’être aimée, celui de comprendre qui elle était enfin, de vivre avec quelqu’un qu’elle aimait profondément. Le bonheur coulant, le bonheur aussi quétaine aussi psycho pop qu’on pouvait l’imaginer.  Le bonheur rose bonbon.  Mais elle avait su, dès le jour où elle était entrée dans cette maison, que le bonheur serait fugace, parce que pour une raison étrange, elle avait toujours su qu’elle ne pourrait être heureuse très longtemps.

 À force de se dire qu’elle ne méritait pas d’être heureuse, elle avait attiré vers elle la Maladie.  Celle-là.  Celle qui attaque sans aviser, celle qui nous surveille dans nos moments de faiblesse et qui vient nous chercher peu importe les précautions qu’on a prises, les légumes qu’on a mangé, la crème solaire dont on s’est couvert le corps, la cigarette qu’on a écrasée, le bonheur qu'on a laissé filtré dans notre vie.

Diane poussait les feuilles, ou plutôt les déplaçait, sans les mettre nulle part.  À quoi ça servirait de les ramasser? Elle ne serait plus là pour les voir envahir la cour quand la neige tomberait.  Mais le bruit du râteau sur le sol la calmait doucement, l'odeur des feuilles mortes lui rappelait son enfance et la peur s'éloignait doucement.  Cette épreuve ne lui appartenait pas.  Elle se remettait entre les mains de plus grand.  

Sa valise l’attendait, Louise allait la reconduire, à 15heures pile, dans un de ces endroits où on attend sa mort en regardant le fleuve couler.  Elle y passerait les derniers jours de sa vie, à se dire qu’elle avait été heureuse.

5 commentaires:

  1. Ouf... Je m'attendais à tout sauf à cette fin là...

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    1. Ouin, je sais, c'est un peu raide. Ça doit être l'automne...

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  2. Tant d'émotions et d'intensités. J'aurai envie d'en lire plus. Et si vous saviez à quel point cette histoire me parle.

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    1. Alex-Sandra, merci pour ce beau compliment. Venant de quelqu'un qui vient de publier son premier, ça me touche beaucoup.

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  3. C'est beau et très bien écrit. Bravo !

    Une fille qui tombe

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