La belle aubaine


Ceci est la suite de "Ce que votre pied me raconte"

Dehors, le vent poussait quelques feuilles, les dernières de l’automne, apparues d’on ne sait où.  Ginny Robertson avait quitté le magasin, à grandes enjambées, plutôt fière de sa performance.  Il n’y avait rien comme faire chier une vendeuse de temps à autre pour se rassurer qu'elle n’avait rien perdu de son mordant.

Dans les milieux où elle évoluait depuis plusieurs années,  la belle Ginny était connue comme une bitch de premier ordre. Le genre de femme qu’on aimer inviter en société, pour sa répartie et sa méchanceté.  Sa façon d’envoyer promener n’importe qui en montrant ses incisives blanches sur des lèvres impeccablement peintes rose fuchsia tout en secouant ses bracelets Chanel avec élégance était célèbre dans tout le 514 et  même plus.

On racontait encore l’histoire de la stagiaire à qui elle avait donné du  « You are so cute, I want to be your friend » toute une soirée, « Es-tu assez fine s’t’enfant-là » .  C’était sa méthode. D’abord, elle apprivoisait sa proie,  l'amadouait, pour mieux planter ses dents dans sa peau rose offerte naivement.  Alors que l'étudiante fraichement arrivée à Montréal, était rose du bonheur de s'être fait une amie dans les milieux branchés sa nouvelle ville d'adoption,  Ginny avait attaqué, « Sweety, va falloir que tu fasses quelque chose avec ton "Ottawa butt". You know, here in Montréal, ça suffit pas d’être fine pi d’avoir un diplôme de médecine, pour se faire des amis.  Il faut aussi être belle et intéressante, pi  t’as beaucoup de travail à faire pour avoir au minimum un des deux.». On murmurait que la jeune femme était repartie pour Ottawa, sans jamais terminer ses études.  Les mauvaises langues disaient qu’elle avait terminé sa carrière comme préposée aux bénéficiaires dans un hôpital de Guelph.

Encore énergisée par sa performance avec la vendeuse, Ginny avait tout de suite vu le manège d'une femme, de l'autre côté de la rue, qui tentait visiblement, changer de chemin.  Mais Ginny ne se laissait pas avoir si facilement, quand on tentait de l’éviter c'est qu'on avait quelque chose à cacher.  Elle avait levé le bras pour que l'autre voit bien qu'elle était piégée « Nathalie Berthiaume! Comment ça va?»  Quand la femme au manteau de cachemire gris s'était retournée, Ginny avait repéré la belle aubaine. En novembre, période plutôt calme pour les ragots et les potins, une femme avec le nez couvert d’un pansement représentait une belle capture.

Smac, smac, un bisou dans le vide à droite, un autre à gauche, « Mon Dieu, qu’est-ce qui t’es arrivé au nez? »  « Un accident d’auto? Hon, pôv cocotte, ! Heureusement que t’as Maria à la maison pour t’aider.  Appelle-moi si t’as besoin de compagnie.  Tsé, les amies, c’est à ça que ça sert. Tu sais que ça me fait toujours plaisir de te voir. »  « Bon, je te laisse, faut que je me dépêche, faut que j'arrive chez Olivier Poitier avant qu’il n’y en ait plus de macarons.  Ah mon Dieu!  Tu connais pas Olivier Poitier, il est divin… je veux dire la pâtisserie est divine. » 

Elle était repartie aussi vite qu'elle était venue.  D'un geste,  le pouce vers le haut, le petit doigt vers la bouche, elle indiquait   « On s’appelle ».   L'autre était restée figée sur le trottoir maudissant la mauvaise idée qu’elle avait eu de sortir en public avant que ses pansements ne soient enlevés et s'en voulait encore de n'avoir pas préparée une réponse plus intelligente que "un accident d'auto".  

La suite sous peu, l'après-midi de Ginny.

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