L'après-midi de Ginny (1)

Ceci est la suite de La belle aubaine

Le ballet:

Ginny était entrée dans un café où l’attendait Clothilde, sa meilleure amie.  Le mot amitié n'était probablement pas le meilleur pour décrire la relation des deux femmes qui se fréquentaient depuis que Ginette était arrivée à Montréal, jeune femme naïve, avec une valise de 3 sous et l’envie de faire fortune comme chanteuse.  Elles avaient passé la majorité de leurs vies à s’insulter, à se mentir, à se raconter  les secrets qui pouvaient être partagés et leur relation ressemblait plutôt à un ballet,  une savante chorégraphie, où chaque geste, chaque mouvement si subtil soit-il était étudié, dans un équilibre délicat et lourdement codifié.

Clothilde arrivait toujours la première aux rendez-vous et comme toujours elle attendait Ginny, l'air blasée,  devant une bouteille d’eau et un biscuit sec qu’elle égrenait sans intention de le manger.  Quand Ginny arrivait, Clothilde la saluait d'un élégant mouvement circulaire de la main qu'elle terminait par un frémissement du bout des doigts.

L'entrée en scène se faisait par une première révérence de Ginny, qui,  comme un chat tenant un oiseau dans sa gueule  annonçait« Tu sais pas ce que je viens d’apprendre? » puis pirouettait vers le serveur avec  son plus charmant sourire. « Je vais prendre un latté avec …c’est quoi que tu as? Non, apportez-moi 2 madeleines. »

Le serveur s'effaçait comme un petit rat, qui a fait sa partie,  laissant la place, sachant que c'était mieux, à cette heure de la journée, où les clientes étaient fatiguées de leur journée, ne pas rester trop longtemps dans leur espace immédiat. Puis, le vrai spectacle commençait par un premier pas chassé, toujours initié par Clothilde qui, étant la doyenne des deux, avait le privilège de mener la danse.
- Je sais pas comment tu fais ça pour manger du sucré comme ça en après-midi, moi ça me donne mal au cœur. 

Pas chassé de Ginny: "Ben là tu le veux mon potin?" Clothilde prenait un air offusqué et effectuait un pas de biche,  le bec pincé, « Tu passes ton temps à dire que tu te trouves grosse, pi que tu devrais te mettre au régime, j'ai rien dit de mal, moi..»

Pas de basque.  Ginny reculait de quelques pas, sans perdre son élégance. "J’te dis, que toi, quand il s’agit d’être vache, tu donnes pas ta place" puis mettait le nez dans son sac à main et en sortait un miroir dans lequel elle restait concentrée un moment, l’air de vérifier qu’il n’y avait aucune graine entre ses dents, jusqu'à l'arrivée du serveur, qui de quelques glissés salvateurs, apportait  le café et les madeleines qui offraient une diversion.  Ginny mordait dans une madeleine avec plaisir, s'apercevant qu’elle n’avait rien mangé depuis son petit déjeuner et mastiquait lentement en faisant quelques arabesques pour faire languir sa partenaire:
- Je viens de croiser Nathalie Berthiaume. Tu te rappelles d'elle?
Clothilde n’oubliait jamais ni les gens riches et branchés qu’elle croisait et ni ceux qu ‘elle avait réussit à humilier. Et puisque qu’à peu près, tous les gens qu’elle côtoyait, tombaient dans l’une ou l’autre des catégories, elle se rappelait avec détails, presque tous les gens qu’elle avait croisés dans sa vie. Mais elle aimait que les potins soient dévoilés lentement, comme les cadeaux de Noël qu'on déballe sans briser le papier, et alors commençait un magnifique pas de deux:

- Non, je ne vois pas du tout qui s'est.
- Ben oui, tu sais la blonde avec les palettes trop longues, mariée avec le vieux notaire. Elle vient toujours au souper d'huîtres chez Lysianne. 
- Ben voyons… Je la replace pas. C’est-tu bête.  
- Ben oui, celle qui rit comme un âne.  
- Ah oui, elle.  Celle qui a un grand nez pi qui portait des seins pi une robe pas de son âge l'année passée.  Je la replace là.
Ginny dans un grand geste, comme pour faire le grand écart, avait déclaré: «Elle s’est fait refaire le nez.»  Soubresaut de Clothilde et claquement de langue admirateur.  Surprendre quelqu’un en flagrant délit de chirurgie plastique, en novembre,  période plutôt calme côté potins, était un tour de force  presqu'équivalent à un divorce en juillet, et pour la récompenser de cette trouvaille, Clothilde avait laissé sa partenaire mener une valse.

-  Pi, elle avait l’air de quoi? 
- Elle avait un pansement.  J'ai pas pu voir.  
- D'après moi ça va pas l’arranger.   
- Elle est laide comme un pichou, la pauvre.  Je me suis toujours demandée ce que son mari faisait avec elle.  
- A doit avoir ben de l’argent.
 - En tout cas,  je lui ai dit que j’irais la voir.  Elle me trouve ben fine.
- Tu m’appelles dès que tu as de l’information. 
- Compte sur moi.


La suite sur L'après-midi de Ginny (2)

1 commentaire:

  1. Tu décris si bien tes personnages... Cette Ginny et son "amie" me donnent presque des boutons :-)

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