L'après-midi de Ginny (2)


Ceci est la suite de :L'après-midi de Ginny (1)



Les confidences :

Puis venait l’heure des confidences.   Deux ballerines seules sur la scène.  Deux âmes qui tournent, s’approchent se repoussent, mais ne peuvent exister l’une sans l’autre.  Dans leurs univers où tout était surveillé, calculé, même les confidences se faisaient  dans le respect des règles et des codes.  Toutes les deux savaient qu’elles s’écoutaient, et que, sans dire les mots, elles se comprenaient.  La musique ralentissait,  les cuivres se taisaient, laissant entendre, les violons :


- Qu’est-ce que tu fais ce soir.
- J’ai rien. J’pense que je vais me coucher de bonne heure. Paul travaille beaucoup de ces temps-ci.

Clothilde avait pris une gorgée de sa bouteille d’eau, le temps que le malaise  s’imprègne.  Puis avait laissé échappé « Ah bon » sur un ton qui disait « Tu crois ça, toi? » mais ses yeux disaient « Je sais que ça t’inquiète ». 

Ginette avait fait un petit oui du bout des yeux, mais se tenant droite pour protéger les apparences, avait retourné la balle de l’autre côté, pour équilibrer le malaise. « Toi? Qu’est-ce que tu fais? Tu t’es mis sur ton 36. Coiffée, maquillée, tes ongles faits.  Tu sors? »

- Je vais souper avec Marc.

- Hon, chanceuse!  Un souper dans un chic resto inconnu de Longueuil, où t’es sûre de rencontrer personne que tu connais.  

Clothilde était la maitresse de Marc depuis 15 ans.  Elle avait parfois d'autres amants, laissait croire à qui voulait l’entendre qu’elle n'avait pas besoin d'un homme pour être heureuse.  Seule Ginny savait que cette relation la consumait.  C’était le seul sujet sur lequel il fallait prendre son amie avec des gants blancs.  

Était-ce l’allusion à Paul qui l’avait touchée plus qu’elle ne le croyait, ou sa rencontre avec la vendeuse qui résonnait encore?   Elle n’en savait rien. Toujours est-il qu’elle avait dépassé les bornes et les cuivres avaient résonné plus fort qu’à l’habitude:  
-Sa femme est occupée?  Un samedi soir? 
- Elle a un souper de charité 
- Ben oui, c’est vrai.  C’est le gala de l’hôpital pour enfants, elle est sur le conseil d’administration.  Ouuuin, Marc doit être en manque vrai, pour avoir réussi à s’en sauver.  D’après moi ta soirée va se finir dans un motel sur le boulevard Taschereau. »
Le coup était bas, contraire aux règles. La seule façon pour Clothilde de rééquilibrer, était en faisant un autre coup aussi dur. « Toi? Ton instructeur de gym était pas disponible? »

Ginny avait pris une gorgée du latté qui refroidissait, comprenant qu’elle était allée trop loin, et pour faire la paix, elle avait sorti le drapeau blanc. « Bof tu sais, Daniel c’était drôle au début, mais je ne suis plus trop sûre » Clothilde s’était redressée sur sa chaise, sentant que le pouvoir se rééquilibrait, et avait pris le ton qu’elle prenait quand elle essayait de convaincre ses clients d’acheter une maison qu’ils aimaient mais était au-dessus de leurs moyens « Ben voyons? Avec le cul qu’il a, tu vas pas laisser passer ça.»

Ginny était en humeur de confidences, et puisqu’elle venait de blesser son amie, elle avait continué, moitié pour se faire pardonner, moitié parce qu’elle avait envie de parler d’elle-même. « Ben j’ai pas vraiment envie, je me sens un peu coupable vis à vis de Paul. Je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée » Elle avait essuyé ses doigts délicats sur la serviette de papier, et pour signifier que les confidences émotives étaient terminées, avait rajouté, sur un ton badin « pi en plus je ne suis pas allée chez l’esthéticienne, et j’ai un léger retard dans l’épilation… si tu vois ce que je veux dire. »

Clothilde avait éclaté de rire. « C’est sûr qu’on a beau être à la mode, les couguars, faut faire attention. Les beaux gars comme ça, faut surtout pas qu’on leur montre pas nos faiblesses. ». La tempête était passée, les violons avaient recommencé à jouer doucement.
- Oh, mon Dieu, déjà 5 heures. Faut vraiment que j’y aille, j’ai promis à Marc que j'arriverai à 6hres. Pi, ris pas là…. Faut que je traverse sur la Rive-Sud.
Elles s'étaient levées. Ginette avait embrassé Clothilde. Cette fois ses lèvres n’avaient pas touché le vide, mais s’étaient déposés délicatement la joue rosie par l’émotion. Clothilde avait serré plus fort l’épaule de son amie et leurs yeux s’étaient croisés un bref instant assez pour se dire : « Je suis là. ».

2 commentaires:

  1. Je ne sais trop pourquoi, mais cette série me rend triste... Tant de solitude...

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