Si peu de mots


Marc avait relu les quelques mots, pour la dixième fois.  Il n’y avait rien d’autre à y comprendre.  C’était clair et limpide.    Valérie n’était pas le genre de femme à enrober ses pensées dans des mots.  Ce qu’elle disait, c’était ce qu’elle pensait.  Et quand elle écrivait, elle prenait encore mieux le temps de réfléchir pour choisir ses mots et utilisait peu de caractères pour dire ce qu’elle avait à dire.  Et les quelques mots qui apparaissaient sur l’écran de son ordinateur, disaient ce qu’ils avaient à dire.

Il avait frissonné malgré la chaleur que le foyer répandait.  Il était resté dehors longtemps à regarder le ciel clair et transparent après la tempête.  Assis sur le dessus de la table à pique-nique couverte de neige, il avait regardé la lumière des milliers d’étoiles qui scintillaient sur les bancs de neige, à se dire qu’il aurait dû rentrer à Paris.  D’ailleurs, ce soir Bérénice recevait, pour l’une de ses soirées si courues.  Elle lui avait écrit plusieurs fois dans la semaine, lui disant de laisser sa cabane au Canada, qu’il était d’un ennui mortel, que le tout-Paris y serait et qu’elle avait plusieurs copines qui se mourraient d’envie de connaître un auteur célèbre et qui sauteraient avec joie dans son lit.  Elle avait ajouté, coquine, « Et plus d’une à la fois, si tu en as envie.». Il aurait bu.  Il aurait abusé des substances qui se trouvaient disponibles.  Il aurait oublié.

Chaque année, il passait la veille de Noël en famille, puis il allait au lac en prétextant une envie soudaine d’écrire et ne retournait chez sa mère que pour reprendre sa valise vers le 28 ou 29 décembre et retourmer à Paris à temps pour la réception chez Bérénice.

Depuis la mort de son père, il étouffait sous l’admiration de sa mère.  Il savait que ce qu'il lui racontait peuplerait les conversations qu'elle aurait avec tous les gens qu'elle croisait pendant l’année. De sa coiffeuse aux clients des librairies qu'elle hantait, tous entendraient cent fois raconter ses exploits, alors qu'elle laisserait négligemment tomber « Mon fils, Marc Dupré, qui vit à Pââââris… » Il répondait poliment aux milliers de questions qu'elle lui posait, en rajoutait un peu, colorait, changeait légèrement la version des histoires que Paris Match exposait, c’était sa façon de lui dire qu'il l’aimait, puis il se sauvait au chalet quelques jours, pour écrire disait-il.

C’était quand même vrai que marcher au bord de la rivière, entrer pendant que la maison se réchauffait d’un feu de bois, être seul, loin du bruit et de la fête, lui donnait envie d’écrire, et que plusieurs de ses romans étaient nés ainsi, sous la neige.  

Cette année, il avait revu Valérie.  Sa sœur était arrivée avec elle le soir du réveillon, en disant, Vous vous rappelez de Valérie? C'était mon amie au CEGEP!."  Bien sûr qu'il se rappelait de Valérie qu’il avait tant aimée. Avant.  Elle lui était parue si belle ce soir-là.  Comme intouchée par le temps.  

Ils avaient parlé longuement.  Elle venait de se séparer, elle recommençait sa vie.  Pour la première fois depuis longtemps, il avait eu l'impression d'être lui-même.  À l'aube alors que tout le monde était allé se coucher, ils s’étaient embrassés comme des adolescents.  Il l'avait suppliée « Je vais t’attendre au chalet.  Viens, j'ai besoin de ta présence. Viens, je vais prendre soin de toi. »  Elle avait dit, « Je vais y penser. »

Visiblement, elle y avait pensé. Et les mots venaient le frapper au visage.  « Je n’irai pas. Je t’aime encore, mais je n’aime pas ta vie.  Je m’aime plus que ça.   Ne m’attend pas. »

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