Divagations d'une lectrice

C'est quand je lis que j'ai le plus envie d'écrire.  Comme là. Comme ce soir, alors que je suis fatiguée et que je devrais dormir.   Engloutir les mots des autres et avoir envie de les recracher dans le désordre pour raconter mes histoire. C'est souvent à l'heure où je devrais dormir que ça me prend, quand  la maison est silencieuse et que la fatigue m'oblige à baisser les bras et laisser les mots s'emparer de moi.  J'ai lu des centaines de livres.  Je me rappelle vaguement ce qu'ils racontaient, mais je me rappelle de la douce impression de torpeur qu'ils laissaient en moi.

C'est comme si j'avais vécu à moitié endormie une partie de ma vie, dans des milliers d'univers parallèles où j'ai croisé tous ces personnages.  Avec les années, ils se sont accumulés et maintenant qu'ils constituent une armée dans mon cerveau, ils essaient de reprendre le contrôle.  Au détour d'une rue, dans une conversation, j'ai souvent l'impression de reconnaître quelqu'un. Cette femme au regard triste, cet homme fermé, ce mendiant qui me tend une tasse en styrofoam, cette femme en bigoudis sur un balcon,  sans leur parler j'ai l'impression d'avoir été spectateur de leur vie, d'avoir lu leur journal intime; ils sont en moi, parce que je les ai lus un jour et que leur histoire s'est infiltrée dans ma tête.

Ce soir,  au lieu d'aller dormir, j'ai accroché un livre que j'avais déjà lu. Ce qu'il y a de prodigieux avec les livres qu'on relit, c'est qu'eux ne changent pas, mais que nous oui, et c'est comme si on lisait à chaque fois une nouvelle histoire.   Un nouveau rêve qui vient nous troubler, de nouvelles phrases qui rebondissent dans notre tête jusqu'à ce qu'elles aillent se tapir dans notre cerveau, pour qu'on les oublie.  Ou qu'on imagine qu'on les oublie.

J'ai peur parfois, de ré-écrire sans le savoir, des pans entiers d'une histoire telle que je l'aurais lue, qu'un éditeur fâché m'appelle et me dise, que j'ai usurpé les droits d'un de ses auteurs, que les mots que j'ai écrits appartiennent à un autre, plus célèbre que moi et qu'en plus, je l'ai fait avec moins de style moins d'élégance, que l'original. Tout ça parce qu'un soir d'insomnie, les mots auront pris possession de mes doigts et seront sortis d'eux mêmes, d'un seul jet, pour reprendre vie sur l'écran et aller infecter quelqu'un d'autre qui viendra me lire.

Les mots sont calmes en moi la plupart du temps, mais je sais qu'ils rêvent de s'évader de mon cerveau dès que je les vois si agréablement agencés dans des histoires qui coulent comme des torrents, des phrases qui mettent des émotions sur mes interlignes, des paroles sur mes incertitudes, des questions sur mes doutes.   Des mots qui dansent et qui m'empêchent de dormir, parce que je voudrais tellement les dompter, les placer, les enligner.

Alors voilà, il y a des moments, où je ne lis pas, parce que parfois les mots m'empêchent de dormir.

12 commentaires:

  1. Cette sensation me hante souvent aussi. Comme si les personnages de tous les livres que j'ai lus par le passé continuent de vivre leur vie fictive dans mon cerveau. Chaque histoire que j'écris, que j'imagine me rappelle vaguement autre chose, et cette peur de récréer me hante.

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    1. Merci pour votre commentaire Fred, Contente de voir que je ne suis pas la seule afligée de cette maladie. Bienvenue chez-moi j'espère que vous reviendrez me lire.

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  2. Quel texte génial, Sophie! Si inspirant, si vivant. Je partage ce sentiment, mais je ne crois pas que j'aurais pu l'exprimer aussi bien.

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    1. Délire nocturne que je me rappelle à peine avoir écrire. Je te jure. Tu sais pas, peut-être que tu vas ré-écrire la même chose dans 10 ans sans te rappeler d'où ça vient. ;)

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  3. Donc si je veux écrire comme toi, je crois que je vais me mettre à lire plus alors! :-)

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  4. "J'ai peur parfois, de ré-écrire sans le savoir, des pans entiers d'une histoire telle que je l'aurais lue, qu'un éditeur fâché m'appelle et me dise, que j'ai usurpé les droits d'un de ses auteurs, que les mots que j'ai écrits appartiennent à un autre, plus célèbre que moi et qu'en plus, je l'ai fait avec moins de style moins d'élégance, que l'original."

    MOI AUSSI!! Dans le même ordre d'idée, j'ai peur d'écrire quelque chose qui a déjà été écrit mais que je n'ai tout simplement pas lu...

    Très beau texte, il me rejoint beaucoup. C'est vrai que les livres laissent en nous des traces vagues, de douces émotions en filigrane, et souvent, quand je regarde un livre que j'ai lu, je me souviens à peine de l'histoire, mais l'émotion que j'ai ressenti en le lisant me monte à la gorge d'un coup.

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    1. Ah! Ah! Écrire le livre qu'on n'a pas encore lu. Je l'avais oublié celle-là mais effectivement c'est aussi un risque!

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  5. je suis curieuse, quel livre as-tu relu pour être si inspirée?

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    1. Ah! Ah! Je me disais bien que quelqu'un finirait par me le demander. C'etait "Je l'aimais" de Anna Gavalda.

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  6. Un très beau texte!
    Il m'arrive d'avoir envie d'écrire en entendant le texte d'une chanson. Un sentiment indescriptible et envahissant. Grisant.
    Je partage
    http://juliebeaupre.com/jamais2sans3/potins2013_0120/
    (en ligne dimanche!)

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