Chocolat au lait

Il y a quelques temps, une fille que j'aime bien lire et qui écrit un blogue ici, a proposé l'idée de se créer un site où nous pourrions nous lancer des défis d'écriture entre auteurs en devenir, histoire de nous encourager à écrire plus souvent et d'explorer de nouveaux horizons.  J'ai décidé d'accepter le défi, me disant, que ça me motiverait à sortir de mes habitudes d'écriture et tenter de nouveaux styles de texte.  Voici donc le 2ème texte publié dans le cadre de ces défis.



Vous pouvez lire les autres textes ici et en savoir un peu plus sur les contraintes de ce nouveau défi lancé par moi-même cette fois-ci.

Chocolat au lait

Ma belle, ma tendre Marie-Louise,

Si tu savais combien tu me manques, combien les journées sont lentes et pleines d’ennui sans ta présence à mes cotés.  Sans toi, je deviens un vieux shnoque bourru et désagréable et je m’enfonce dans ce côté de moi que tu m’as si souvent forcé à laisser derrière.  Sans toi mon bel amour, je deviens un vieux grincheux comme ceux dont tu te moquais tant.

Je t’écris de la petite chocolaterie, où tu m’amenais parfois.  Tu disais, « C’est impossible d’être malheureux quand on boit un chocolat comme ça.  Cette tasse est remplie d’un élixir de bonheur. »  Tu fermais tes beaux yeux gris et trempais tes lèvres dans le liquide brun doux et, pendant un moment, tu semblais t’envoler ailleurs.  J’ai longtemps cru que tu m’amenais ici pour m’aider à être heureux.   Ce matin, en revoyant ton visage dans ces moments-là, j’ai eu un doute.  Étais-tu heureuse ma Marie-Louise ? Je ne te l’ai jamais demandé.  Tu as toujours tellement eu l’air de savoir quoi faire avec la vie, alors que moi je passais mon temps à m’y empêtrer.

Tu me manque tellement ma tendre Marie-Louise.  Imagine, je suis sorti du quartier où tu m’as quitté, pour aller, tout seul, dans celui où nous avons élevé nos filles.  J’ai pris le métro comme un grand, sans trop donner de coups de canne aux gens. J’en ai donné quelques-uns, mais ils étaient mérités.

Si tu savais combien j’aimerais ça que tu sois là, pour continuer à m’enseigner à être une meilleure personne.  Tu te rappelles? Tu me disais : « Attention mon Albert, c’est plus facile de se chicaner que de se dé-chicaner.  Pardonne,  Albert. La vie est trop courte pour haïr».   Quand je m’étais brouillé avec Louis Gagnon, mon seul ami, tu avais organisé une fête à la maison et tu l’avais invité sous le prétexte de voir les enfants.  Il y avait juste toi,  Marie-Louise pour me dé-chicaner quand je faisait l’idiot.

Les filles vont bien, je crois.  Tu sais, moi, m’informer de l’état de mes enfants, ça n'a jamais été mon fort.  C’est toi qui posais ces questions-là.  Ça n’aurait pas du se passer comme ça, les statistiques le prouvent, ce sont les hommes qui partent le premiers.  Vaut mieux que les femmes restent un peu derrière pour terminer de bien fermer les portes, pour ramasser les gâchis qu’on a fait.  Moi, tu sais ce genre de choses-là…

Toi, tu aurais survécu dans cet environnement, tu avais tes amies, tu en aurais connues d’autres.  Dans le troupeau de veuves chasseuses, tu aurais été la seule capable de séduire les vieux grincheux laissés derrière par leurs amoureuses.  Tu m’aurais probablement remplacé par un plus doux.  Mais bon, ils sont rares, les hommes de mon âge qui sont disponibles. Tu devrais les voir, papillonnant autour de moi comme des mouches après un pot de miel.  T’imagines? Moi? Un pot de miel !

Ma vieille main me fait mal.  Difficile pour moi d’écrire autant de nos jours.  Tu te rappelles ma Marie-Louise ? Les lettres d’amour qu’on s’écrivait. Les mots que j’ai eu pour toi, je ne les ai jamais eu pour personne.  Je ne sais pas ce que tu avais qui faisait sortir en moi, le plus doux, le plus tendre, le plus fragile, que même nos filles n’ont pas connu.

Dis-moi ma belle Marie-Louise maintenant que tu y es, est-ce que c’est vrai ces histoires de ciel et d’enfer ?  Parce que si tu es, pourrais-tu demander au Bon Dieu, pourquoi toi et pas moi ?  Est-ce que vivre sans toi est mon purgatoire ? Je vois bien que j’aurais deux, trois choses à me faire pardonner.  C’est ta faute aussi, pourquoi fallait-il que tu partes si vite, juste avant de réparer mes pots cassés.

D’ailleurs je t’ai menti un peu.  La chocolaterie, ce n’était pas mon idée.  C’est Julie.  Elle est comme toi Julie, toujours à vouloir jouir de la vie.  Un peu trop peut-être. Elle est arrivée souriante dans une robe turquoise à pois blancs, avant d’entrer, elle a jeté une cigarette et l’a écrasée du bout du pied.  J’ai essayé de prendre de ses nouvelles, comme tu le ferais. Je lui ai demandé s’y elle avait un amoureux, elle m’a répondu qu’elle en avait plusieurs.  Elle a bu sa tasse de chocolat, a pris un morceau de gâteau.  Je lui ai dit qu’elle avait pris du poids, qu’elle devrait faire plus attention à sa santé.   Elle m’a répondu avec le même air frondeur qu’elle avait quand elle fuguait à 9 ans « À quoi ça sert ? de toute façon on finit tous par mourir..  Vaut mieux profiter de la vie, non ? » On dirait qu’elle vit trop.  Est-ce que c’est ça qui fait mourir Marie-Louise? Vivre trop ?  Parce que moi, je ne vis pas beaucoup, c’est peut-être pour ça que je tiens encore malgré ton absence. Elle est repartie en coup de vent, me disant de me mêler de mes affaires.  Elle a malheureusement aussi hérité de mon humeur charmante, je ne suis pas convaincu que ça fait un heureux mélange.

Tu vois, l’exemple que tu as donné à ta fille ?  Fallait pas mourir si vite ma Marie-Louise et me laisser seul pour gérer tout ça.   

Après le départ de Julie, je suis resté à la chocolaterie.  Je ne lui ai pas dit, mais je viens souvent dans ce quartier. J’ai pris une deuxième tasse.  La première n’avait pas réussi à me rendre heureux, je me suis dit qu’une deuxième était peut-être nécessaire.  Puis, j’ai attendu 3heures,  l’heure à laquelle elles passent.

Faut que je te fasse une autre confession.  Je n’ai plus reparlé à Geneviève depuis cette fois, où elle était venue souper. Tu te rappelles, ce soir où Geneviève était venue avec son nouvel amoureux.  Je t’avais dit que je n’arrivais pas à faire la différence entre la couleur de son visage et celle de notre sofa.    Maurice qu’il s’appelait. C’est ce soir-là que j’ai compris que tu allais mourir quand tu n’as pas réagi à la crise que j’ai faite et aux vilaines choses que j’ai dites.  Après les funérailles, Geneviève et moi on ne s’est plus revus.  Elle est têtue, rancunière et orgueilleuse Geneviève, comme moi.  

Des fois je me demande, ce qui me tient en vie malgré ton absence, ma belle Marie-Louise, des fois je comprends aussi. La première fois que j’ai vu ma Geneviève tourner un coin de rue avec un ventre en forme de ballon, j’ai eu envie de vivre un peu plus, juste pour voir ce qu’il y avait dans ce ventre.

Depuis, je viens dans ce quartier où elle s’est installée avec son musicien au visage d’ébène. Elle a l’air bien. L’amour et la maternité l’ont radoucie.    J’aurais tellement voulu que tu sois là, la première fois où j’ai vu apparaître une petite tête bouclée, du landau que Geneviève poussait.  Cette fois-là, j’ai failli sortir pour aller les embrasser.  Mais tu le sais, je suis un vieil idiot et je ne sais pas comment montrer mes émotions. 

Depuis, ma semaine s'illumine tous les dimanches à 3heures.  Je les reconnais souvent de loin et cette attente est mon plus beau moment.  Aujourd’hui, la petite portait une robe à volants roses et des chaussures jaunes serin,  elle sautillait plutôt qu’elle ne marchait.  Devant ta chocolaterie, il a semblé qu’elle me regardait de ses yeux noisette.  Geneviève l’a prise par les mains pour la faire sauter et j’ai entendu son rire en grelots, qui me rappelle le tien. 


Marie-Louise, ma tendre Marie-Louise, comme tu me manques.  J’ai la nausée, je n’aurais pas du prendre cette deuxième tasse.  Ça n’a rien arrangé, je ne me sens pas plus heureux.  Mais au moins, elle me sert de récipient pour amasser les larmes qui coulent sur mes joues.    Mon bel amour, si tu savais combien j’aimerais ça que tu reviennes, ne serait-ce que quelques jours, pour que je puisse te serrer dans mes bras bien sûr, mais surtout pour que tu puisses me dé-chicaner d’avec ma grande fille, pour que j’ai le droit, avant d’aller te rejoindre, d’embrasser au moins une fois, ma petite-fille qui a ton rire et une peau couleur de chocolat au lait.

Ton Albert

4 commentaires:

  1. moi aussi les larmes me sont venues mais je n'avais pas de tasse pour les recueilir

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    1. Anonyme, pas besoin de tasse pour recueillir les larmes, elles coulent doucement, emportent avec elles les chagrins, même les vieux, et finissent par sécher d'elles-même.
      Merci pour ton beau commentaire.

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  2. Wow!...Et quel hasard!!!! Ma grand-maman s'appelelait Marie-Louise et avait Albert comme mari!!!!

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