Conte urbain d'avant-Noël

C’était un mercredi d’avril, le temps était doux.  Je suis restée longtemps assise sur le banc de parc,  sous le choc, le souffle coupé.   « Restructuration, réorganisation, processus, options » tous des euphémismes utilisés pour m’annoncer que la job stable, le plan de carrière établi, venaient de disparaître comme les grains d’un sablier cassé.


On nous avait préparé à cette journée, on nous nous avait dit que ce serait difficile, on nous avait bien expliqué  les phases du deuil : Déni, colère, tristesse et acceptation.  Mais personne ne m’avait préparée à la sensation de vide immense qui m’habitait alors que j'étais assise seule sur mon banc de parc.

Comme si je venais de sauter de l’avion et que je tombais sans fin en attendant le moment d’ouvrir mon parachute.   Là-bas, loin devant, partout, l’avenir, l’inconnu.

« Est-ce à vous cette grande tristesse que j’ai ressentie en entrant dans le parc ? »  Je ne l’avais pas vu venir, il était simplement apparu devant moi avec ses vêtements usés et un vieux sac à dos qui semblant contenir toutes ses possessions.   « Pourquoi pleurez-vous, Madame ». 

C’est la première personne à qui j’ai annoncé la nouvelle, un peu gênée devant lui qui semblait posséder beaucoup moins que moi : « Je viens de perdre mon emploi. »  Il a semblé scruter mon âme de ses yeux bleus pâles et m’a demandé doucement « Avez-vous une famille, madame ? ».  
-       Oui.  J’ai 2 enfants magnifiques et un mari qui m’aime 
-       Alors, vous êtes riche madame.
Il m’a expliqué, que de l’argent, il en avait eu, que ça apportait plus de chagrin que de bonheur, que la vraie richesse c’était les gens qui nous entourent.  Il a conclu en disant, « Vous êtes chanceuse madame, moi, je n’ai personne ».  J’ai compris qu’il était pauvre.

 Il  est disparu comme il était venu, sans que j’aie le temps de le remercier, de lui dire qu’il était  plus riche qu’il ne le croyait, riche de cette sagesse que je n’avais pas et qu’il venait de m’offrir en cadeau.  Il venait de me faire comprendre que j’étais riche, riche de la vie devant et riche du vide que je sentais. 

Pendant longtemps, à chaque fois que j’ai traversé ce parc, j’ai scruté du regard chacun des bancs, espérant voir son petit sac à dos rouge, me disant que peut-être, je pourrais au moins lui donner ne serait-ce qu’assez pour manger un repas chaud et surtout le remercier de ce qu’il avait fait pour moi.  Je ne l’ai jamais revu.

Je me suis bien sûr trouvé un nouvel emploi et j’ai souvent pensé à cet homme qui m’avait tant aidé ce jour-là.  Puis la vie. Et petit à petit, je recommence à me préoccuper pour des choses banales et j’oublie la sagesse enseignée par cet homme aux yeux bleus.

Hier, première neige sur Montréal. Les cloches de la Sunlife qui carillonnent annoncent qu’il est 5 heures.   La ville était blanche et lumineuse et la neige tombait en gros flocons lourds.  Et là, pendant que j’attendais pour traverser à un feu de circulation,  au milieu de la horde de travailleurs qui hâtent le pas pour rentrer à la maison, un homme s’est approché de moi, poli et un peu gêné: « Vous auriez pas un peu d’argent pour m’aider madame, pour que je mange. » 

Machinalement, j’ai sorti mon portefeuille, sans trop penser, pour m’en débarrasser aussi.  Prête à dire comme je l’ai déjà fait : « Je n’ai rien », en le jugeant un peu et me disant qu'il était en santé et pouvait se trouver du boulot comme tout le monde.

À la place, peut-être parce que la ville ressemblait à une image de conte de Noël, je l’ai regardé dans les yeux  et lui ai dit, « Prenez soin de vous monsieur », en lui remettant quelques dollars.  Sans une seconde d’hésitation, il m’a serré fort dans ses bras, m'offrant par le fait même l'un des plus beaux et des plus sincères câlins que j'ai reçus dans ma vie.

Ce n’est qu’après qu’il soit reparti, que j’ai réalisé ce qui venait d’arriver, que j’ai compris que sans le vouloir, je venais peut-être de remettre un peu de ce que j’avais reçu il y a 1 ½ an.  Mais si peu, si peu. 

J’ai continué mon chemin en pensant aux contes de Noël que j’aime tant.  En pensant que c’est  drôle quand même parce que finalement, ils racontent toujours l'histoire de quelqu'un qui n’a rien et qui donne à celui qui se croit riche  et ne donne pas assez.


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